Sauter au contenu

Section 3 Une preuve "géométrique"

On va ici donner une preuve complètement différente, mais plus jolie, du résultat \(\sum_{n=1}^\infty \frac1{n^2} = \frac{\pi^2}6\text{,}\) qui consiste à donner une reformulation géométrique du problème.

Cette reformulation géométrique fait intervenir un cercle, et c'est de là que \(\pi\) va sortir.

La preuve est dûe à J. Wästlund de l'université Chalmers, et est disponible en entier ici 1 . Une très belle illustration vidéo a été réalisée par Grant Sanderson, de l'excellente chaîne YouTube 3blue1brown:

Projet 3.1. Etape 1: Un petit calcul préparatoire.

On sait déjà que la série de terme général \((\frac1{n^2})_n\) converge. Notons \(S=\sum_{n=1}^\infty \frac1{n^2}\) sa somme. Le but du jeu est de montrer que \(S=\frac{\pi^2}6\text{.}\)

En séparant la somme entre les entiers pairs et impairs, montrer que

\begin{equation} S=\frac{\pi^2}6 \iff \sum_{n\in \mathbb Z} \frac1{(n-\frac12)^2}= \pi^2\tag{3.1} \end{equation}
Indication.

Commencer par montrer que \(S= \frac14 S + \sum_{n\geq 1}\frac1{(2n-1)^2}\text{.}\)

Spoiler.

Puisque la série \(\sum \frac1{n^2}\) converge, on peut écrire:

\begin{equation*} S=\sum_{n=1}^\infty \frac1{n^2} = \sum_{k=1}^\infty \frac 1{(2k)^2} + \sum_{k=1}^\infty \frac 1{(2k-1)^2} \end{equation*}

Or, pour tout \(k\geq 1\text{,}\) \(\frac 1{(2k)^2} = \frac14 \frac{1}{k^2}\) et \(\frac 1{(2k-1)^2} = \frac14\frac1{(k-\frac12)^2}\) donc

\begin{gather*} \sum_{k=1}^\infty \frac 1{(2k)^2} = \frac14\sum_{k=1}^\infty \frac 1{k^2} = \frac14 S,\\ \sum_{k=1}^\infty \frac 1{(2k-1)^2} = \frac14 \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2} \end{gather*}

donc

\begin{align*} S \amp = \frac14 S + \frac14 \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2}\\ \frac 34 S \amp= \frac14 \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2}\\ 3S \amp = \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2} \end{align*}

De plus, pour tout \(k\in \mathbb N\text{,}\) \(\left(k-\frac12\right)^2 = \left(-k+\frac12\right)^2 = \left(-k+1-\frac12\right)^2= \left(-(k-1)-\frac12\right)^2\text{,}\) d'où

\begin{align*} \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2} \amp \sum_{k=1}^\infty \frac1{(-(k-1)-\frac12)^2}\\ \amp = \sum_{k=0}^\infty \frac1{(-k-\frac12)^2} \end{align*}

De là,

\begin{align*} 2\sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2} \amp \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2}+\sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2}\\ \amp = \sum_{k=1}^\infty \frac1{(k-\frac12)^2} + \sum_{k=0}^\infty \frac1{(-k-\frac12)^2}\\ \amp = \sum_{k\in \mathbb Z} \frac1{(k-\frac12)^2} \end{align*}

On peut donc écrire

\begin{align*} 3S \amp = \frac12 \sum_{k\in \mathbb Z} \frac1{(k-\frac12)^2}\\ 6S \amp = \sum_{k\in \mathbb Z} \frac1{(k-\frac12)^2} \end{align*}

Donc

\begin{equation*} S = \frac{\pi^2}6 \iff \sum_{k\in \mathbb Z} \frac1{(k-\frac12)^2} = \pi^2. \end{equation*}

Pour montrer que

\begin{equation*} \sum_{k\in \mathbb Z} \frac1{(k-\frac12)^2} = \pi^2, \end{equation*}

on va montrer, plus généralement, que pour tout \(x\in ]0,\frac12]\text{,}\)

\begin{equation} \sum_{n\in \mathbb Z} \frac1{(n-x)^2}= \frac{\pi^2}{\sin(\pi x)^2}\tag{3.2} \end{equation}

Pour cela, on va regarder les étoiles.

Figure 3.1. via GIPHY 2 

Si on observe une étoile située à distance \(d\text{,}\) l'intensité lumineuse que l'on reçoit est de l'ordre de \(\frac1{d^2}\) 3 . Pour simplifier, on va ignorer toutes les constantes désagréables, et dire que l'intensité lumineuse est exactement \(\frac1{d^2}\text{.}\)

Prenons maintenant un cercle de périmètre \(N\in\mathbb N\) et plaçons-y \(N\) étoiles régulièrement espacées. Puis on s'assoit sur un point \(P\) (sans étoile) quelque part sur le cerle. La longueur du cercle entre nous et l'étoile la plus proche est un réel \(x\in]0,\frac 12]\text{.}\)

On va se demander quel est l'intensité lumineuse totale que l'on perçoit depuis le point \(P\) 5 . On note \(f_N(x)\) cette intensité lumineuse totale.

Projet 3.2. Etape 2: une seule étoile proche.

On part, modestement, d'une seule étoile \(R\) placée sur un cercle de périmètre 1.

Montrer que

\begin{equation*} f_1(x)=\left(\frac{\pi}{\sin(\pi x)}\right)^2. \end{equation*}
Indication.

Rappelons à tout hasard la définition d'un radian:

Figure 3.2.

CC BY-SA 3.0 6 , Lien 7 

On pourra aussi utiliser le triangle \(POR\text{,}\)\(O\) serait le centre du cercle.

Spoiler.

Pour passer d'une seule malheureuse étoile à une belle constellation à \(N\) étoiles, on va utiliser un théorème de géométrie adapté.

Projet 3.3. Etape 3: le théorème de Pythagore inversé.

Considérons un triangle \(ABC\) rectangle en \(C\) 8 . On note \(a=CB\text{,}\)\(b=AC\) et \(c=AB\text{,}\) et \(h\) la longueur de hauteur du triangle issue de \(C\text{.}\)

Montrer que

\begin{equation*} \frac1{h^2}=\frac1{a^2}+\frac1{b^2} \end{equation*}
Indication.

Calculer l'aire de \(ABC\) de deux façons différentes et utiliser le théorème de Pythagore classique pour calculer \(\frac1{a^2}+\frac1{b^2}\text{.}\)

Spoiler.

En utilisant ce théorème, on va voir que le passage d'une étoile sur un cercle de périmètre 1 à deux étoiles sur un cercle de périmètre 2 ne change pas la luminosité.

Projet 3.4. Etape 4: Deux étoiles plus lointaines.

(a)

On part d'un cercle de périmètre 1 portant une étoile en \(R\text{.}\) De là, on trace un cercle \(C_2\) de périmètre 2 centré au point diamétralement opposé à l'observateur \(P\text{.}\) Puis on trace le diamètre de \(C_2\) qui passe par \(R\) et on appelle \(S_1\) et \(S_2\) les points d'intersection avec \(C_2\text{,}\) avec \(S_1\) plus proche de \(P\) que \(S_2\text{:}\)

Montrer que les distances \(x\) (distance entre \(P\) et \(R\) sur le cercle \(C_1\)) et \(y\) (distance entre \(P\) et \(S_1\) sur le cercle \(C_2\)) sont égales.

Indication.

On peut en utiliser le lien entre \(x\) et \(y\) et les mesures en radians d'angles bien choisis, ainsi que le théorème de l'angle au centre 9 .

Spoiler.

(b)

En déduire que \(f_1(x)=f_2(x)\text{.}\)

Indication.

Utiliser le théorème de Pythagore inversé dans le triangle \(S_1S_2B\text{.}\)

Spoiler.

Vers l'infini et au delà

En généralisant cette construction, on voit qu'en partant de \(N\) étoiles sur un cercle de périmètre \(N\text{,}\) on peut construire un système à \(2N\) étoiles sur un cercle de périmètre \(2N\text{:}\)

Et cela ne change pas la luminosité: chaque paire d'étoiles obtenues à partir d'une étoile du petit cercle donne la même luminosité totale que l'étoile initiale. Autrement dit, pour tout \(N\) et pour tout \(x\text{,}\)

\begin{equation*} f_N(x)=f_{2N}(x) \end{equation*}

Donc, si on part d'une seule étoile et qu'on fait ça \(p\) fois, on trouve:

\begin{equation*} f_{2^p}(x)=\left(\frac{\pi}{\sin(\pi x)}\right)^2 \end{equation*}

Et on peut prendre \(p\) aussi grand qu'on veut.

C'est là qu'on va "passer à la limite". Si on a \(2N\) étoiles sur un cercle de périmètre \(2N\text{,}\) les \(N\) étoiles les plus lointaines sont à distance plus grande que le rayon du cercle, qui vaut \(r=\frac{2N}{2\pi}= \frac{N}{\pi}\text{.}\)

Du coup, la luminosité totale qui nous vient de ces étoiles éloignées est majorée par \(N\times \frac1{r^2}= \frac{\pi^2}{N}\text{,}\) un terme qui tend vers 0 quand \(N\rightarrow \infty.\)

A l'étape suivante, on remplace ces \(N\) étoiles proches par \(2N\) étoiles sur un cercle deux fois plus grand, et on ignore les \(N\) plus lointaines, ce qui ajoute une erreur de \(N\times \frac1{(2r)^2}= \frac{\pi^2}{4N}\text{.}\)

Et ainsi de suite: à la \(k\)-ième étape, on ajoute encore une erreur de \(\frac{\pi^2}{4^kN}\text{.}\)

Quand \(k\rightarrow \infty\text{,}\) la luminosité des \(N\) étoiles qu'on "garde" commence à ressembler à la luminosité émise par \(N\) étoiles placées sur une droite de part et d'autre de \(P\text{:}\)

\(P\) ici est placé en \(x\) et les étoiles sont toutes distantes de \(1\text{:}\) elles sont sur les points entiers.

La luminosité totale reçue en \(P\) est alors approchée par

\begin{equation*} \sum_{n\in \mathbb Z, |n-x|\lt \frac{N}2} \frac1{(n-x)^2} \end{equation*}

avec une erreur de majorée par

\begin{equation*} \frac{\pi^2}{N}+ \frac{\pi^2}{4N}+ \frac{\pi^2}{4^2 N}+...= \frac{\pi^2}{N}\left(\frac1{1-\frac14}\right)=\frac{4\pi^2}{3N} \end{equation*}

donc il existe un \(\Theta \in [0,\frac{4\pi^2}3]\) tel que

\begin{equation*} f_N(x)= \sum_{n\in \mathbb Z, |n-x|\lt \frac{N}2} \frac1{(n-x)^2} +\frac{\Theta}{N} \end{equation*}

Enfin, pour tout \(k\in \mathbb N\text{,}\) \(f_N(x)=f_{2^k N}(x)\) donc

\begin{align*} f_N(x) \amp =\lim_{k\rightarrow \infty} f_{2^k N}(x) \\ \amp =\lim_{k\rightarrow \infty} \left(\sum_{n\in \mathbb Z, |n-x|\lt \frac{2^k N}2} \frac1{(n-x)^2} +\frac{\Theta}{2^k N}\right)\\ \amp = \sum_{n\in \mathbb Z}\frac1{(n-x)^2} \end{align*}

Et on conclut en se rappelant que \(f_N(x)=\left(\frac{\pi}{\sin(\pi x)}\right)^2\text{.}\)

www.math.chalmers.se/~wastlund/Cosmic.pdf
giphy.com/gifs/stars-calvin-and-hobbes-5SMSlLBkJk2eA
C'est un phénomène courant en physique: voir ici 4 
fr.wikipedia.org/wiki/Loi_en_carr%C3%A9_inverse
Si si, ça a un rapport avec la somme qui nous intéresse !
creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/
commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=555149
Ca vous rappelle de vieux souvenirs ?
fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_de_l%27angle_inscrit_et_de_l%27angle_au_centre