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Section 1 Continuité des applications linéaires

Commençons par quelques échauffements sur la continuité des applications linéaires dans les e.v.n.

Il n'aura échappé à personne que les applications linéaires sont, généralement, plus sympathiques que les autres.

C'est particulièrement flagrant en dimension finie: on peut alors les représenter par un nombre fini de coefficients, plaisamment organisés en tableau (via les matrices), l'étude de leur injectivité et surjectivité est facilitée par des considérations de noyau et de dimension, etc.

Ici, on s'intéresse aux applications linéaires définies entre deux espaces vectoriels normés \((E,\|.\|_E)\) et \((F,\|.\|_F)\text{,}\) pas nécessairement de dimension finie. On peut alors se poser la question de leur continuité. Et là aussi, les applications linéaires se montrent particulièrement arrangeantes:

  • Si \(f: E\rightarrow F\) est linéaire et continue en 0, alors \(f\) est continue sur \(E\) tout entier.
  • Si \(f\) est continue sur \(E\) tout entier, alors \(f\) est en fait mieux que continue: elle est Lipschitzienne.

Et ce qui fait marcher le premier point, c'est l'observation que, puisque \(f\) est linéaire, \(f(0_E)=0_F\) et, pour tous \(x,y\in E\text{,}\) \(f(x)-f(y)=f(x-y)\text{.}\)

En effet, du coup, si \(f\) est continue en 0, alors cela signifie que quand \(u\) est proche de \(0_E\text{,}\) autrement dit quand \(\|u\|_E\) est petit, alors \(f(u)\) est proche de \(f(0_E)=0_F\text{,}\) autrement dit \(\|f(u)\|_F\) est petit.

Mais du coup, pour n'importe quel \(x_0\in E\text{,}\) si \(x\) est proche de \(x_0\text{,}\) autrement dit si \(\|x-x_0\|_E\) est petit, alors \(f(x-x_0)\) est proche de \(0_F\text{,}\) autrement dit \(\|f(x-x_0)\|_F\) est petit. Or \(\|f(x-x_0)\|_F=\|f(x)-f(x_0)\|_F\text{,}\) donc cela revient à dire que \(f(x)\) est proche de \(f(x_0)\text{,}\) ce qui signifie que \(f\) est continue en \(x_0\text{.}\)

Ce qui fait marcher le deuxième point, c'est que, maintenant qu'on sait qu'on a une propriété du type

\begin{equation*} \|u\|_E \lt \delta \Rightarrow \|f(u)\|_F \lt \varepsilon \end{equation*}

on en déduit que pour n'importe quels \(x,y\in E\text{,}\) le vecteur \(u=\frac{\delta}2\frac{x-y}{\|x-y\|_E}\) vérifie \(\|u\|_E \lt \delta\text{,}\) donc \(\|f(u)\|_F \lt \varepsilon\text{,}\) autrement dit, par linéarité de \(f\text{,}\)

\begin{equation*} \|f(x)-f(y)\|_E \leq \frac{2\varepsilon}{\delta}\|x-y\|_E \end{equation*}

ce qui a une tête de lipschitzianitude.

Précisons tout ceci:

Preuve guidée 1.1.

Soit \(f: E\rightarrow F\) linéaire. On va montrer que les assertions suivantes sont équivalentes:

  1. \(f\) est Lipschitzienne, autrement dit il existe une constante \(C\gt 0\) telle que, pour tous \(x,y\in E\text{,}\)

    \begin{equation*} \|f(x)-f(y)\|_F \leq C \|x-y\|_E \end{equation*}
  2. \(f\) est continue en tout point de \(E\text{;}\)
  3. \(f\) est continue en \(0_E\text{;}\)
  4. Il existe \(C\gt 0\) tel que, pour tout \(x\in E\text{,}\) \(\|f(x)\|_F \leq C \|x\|_E\text{.}\)

On sait déjà que \((1)\Rightarrow (2) \Rightarrow (3)\) est toujours vérifié, que \(f\) soit linéaire ou pas 1 . Ce qui est spécifique aux applications linéaires, ce sont les implications \((3)\Rightarrow(4)\) et \((4)\Rightarrow (1)\text{.}\)

Prenez quand même 30 secondes pour vous assurer que c'est clair !
(a)

On va montrer que \((3)\Rightarrow(4)\text{.}\) Supposons donc que \(f\) est continue en \(0_E\text{.}\) Justifier qu'il existe \(C\gt 0\) tel que

\begin{equation*} \|u\|_E\leq \frac1C \Rightarrow \|f(u)\|_F \leq 1 \end{equation*}
Indication

Utiliser la définition de la continuité en \(0_E\) avec \(\varepsilon =1\text{.}\)

Spoiler

Puisque \(f\) est continue en \(0_E\text{,}\) il existe \(\delta \gt 0\) tel que

\begin{equation*} \|x-0_E\|_E \leq \delta \Rightarrow \|f(x)-f(0_E)\|_F\leq 1 \end{equation*}

Puisque \(f\) est linéaire, on a \(f(0_E)=0_F\text{,}\) ce qui nous donne, pour tout \(u\in E\text{,}\)

\begin{equation*} \|u\|_E \leq \delta \Rightarrow \|f(x)\|_F\leq 1 \end{equation*}

Posons \(C=\frac1{\delta}\text{:}\) \(C\) fait le café !

(b)

En déduire que, pour tout \(x\neq 0_E\text{,}\) \(\|f(x)\|_F \leq C \|x\|_E\text{,}\) et conclure.

Indication

Construire, à partir de \(x\text{,}\) un vecteur \(u\) de norme \(\lt \delta\) pour pouvoir utiliser la question précédente. Par exemple, un vecteur de norme \(\frac{\delta}2\text{.}\)

Spoiler

Prenons \(x\in E\setminus\{0_E\}\) un vecteur non nul quelconque. Alors, le vecteur

\begin{equation*} u = \frac{x}{C\|x\|_E} \end{equation*}

vérifie

\begin{equation*} \|u\|_E=\left\| \frac1{C\|x\|_E}x\right\|_E = \frac1{C\|x\|_E}\|x\|_E=\frac1C \end{equation*}

donc \(\|u\| \leq \frac1C\text{.}\) On a donc, d'après Question 1.1.a

\begin{equation*} \|f(u)\| \leq 1 \text{ i.e. } \left\|f\left(\frac{1}{C\|x\|_E}x\right)\right\|_F \leq 1 \end{equation*}

Or, comme \(f\) est linéaire, ceci donne en fait

\begin{align*} \left\|f\left(\frac{1}{C\|x\|_E}x\right)\right\|_F \amp= \left\| \frac{1}{C\|x\|_E}f(x)\right\|_F\\ \amp= \frac{1}{C\|x\|_E}\|f(x)\|_F\\ \amp \leq 1 \end{align*}

Donc, ce qu'on a obtenu, c'est que pour tout \(x\neq 0_E\text{,}\)

\begin{equation*} \|f(x)\|_F\leq C\|x\|_E \end{equation*}

et comme cette inégalité est aussi valide pour \(x=0_E\text{,}\) on a montré (4).

(c)

En utilisant la linéarité de \(f\text{,}\) montrer que \((4)\Rightarrow (1)\)

Spoiler

Supposons qu'il existe \(C\gt 0\) tel que, pour tout \(x\in E\text{,}\) \(\|f(x)\|_F \leq C \|x\|_E\) et montrons que \(f\) est \(C\)-lipschitzienne.

Soient donc \(x,y\in E\text{.}\) On a

\begin{equation*} \|f(x-y)\|_F \leq C \|x-y\|_E \end{equation*}

Mais, comme \(f\) est linéaire, \(f(x-y)=f(x)-f(y)\text{,}\) et on obtient donc (1).

Dans la pratique, pour montrer qu'une application linéaire est continue, on montre qu'elle vérifie \((4)\text{:}\) on calcule \(\|f(x)\|_F\) et on essaie de majorer en fonction de \(\|x\|_E\text{.}\)

Soit \(E=\mathcal C^0([0,1],\R)\) l'espace vectoriel des fonctions réelles continues sur \([0,1]\text{.}\) On le munit de la norme 2  \(\|.\|_\infty\) définie, pour \(f\in E\text{,}\) par:

Bonus: vérifier que \(\|.\|_\infty\) est bien définie sur \(E\) et est bien une norme.
\begin{equation*} \|f\|_\infty = \max_{x\in[0,1]} |f(x)| \end{equation*}

Montrer que l'application \(A:f\in E \mapsto f(0)\in\R\) est linéaire et continue.

Spoiler
  • Linéarité: Soient \(f,g\in E\text{,}\) \(\lambda \in \R\text{.}\)On a

    \begin{equation*} A(f+\lambda g)=(f+\lambda g)(0)=f(0)+\lambda g(0)=A(f)+\lambda A(g) \end{equation*}

    donc \(f\) est linéaire.

  • Continuité: Soit \(f\in E\text{.}\) On calcule

    \begin{equation*} |A(f)|=|f(0)|\leq \max_{x\in[0,1]} |f(x)|= \|f\|_\infty \end{equation*}

    donc \(A\) vérifie (4) avec \(C=1\text{:}\) \(A\) est continue.

Soit \(E=\mathcal C^0([0,1],\R)\) l'espace vectoriel des fonctions réelles continues sur \([0,1]\text{.}\) On le munit de la norme 3  \(\|.\|_1\) définie, pour \(f\in E\text{,}\) par:

Bonus: vérifier que \(\|.\|_1\) est bien définie sur \(E\) et est bien une norme.
\begin{equation*} \|f\|_1 = \int_0^1 |f(t)| dt \end{equation*}

Montrer que l'application \(A:f\in E \mapsto f(0)\in\R\) est linéaire, mais pas continue sur \(E\text{.}\)

Indication 1

Construire une suite de fonctions continues \((f_n)_n \in E\) telles que, pour tout \(n\text{,}\)\(f_n(0)=1\) et \(\|f_n\|_1\xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} 0\text{.}\)

En déduire qu'il ne peut pas y avoir de constante \(C\gt 0\) telle que, pour tout \(n\text{,}\) \(|A(f_n)|\leq C \|f_n\|_1\text{.}\)

Indication 2
Spoiler
  • Linéarité: On adéjà montré que \(A\) était linéaire à l'Exercice 1.1.

  • Pas continuité: Supposons que \(f\) est continue. Alors, d'après ce qu'on à montré à la Preuve guidée 1.1, il doit y avoir une constante \(C\gt 0\) telle que, pour tout \(f\in E\text{,}\) \(|A(f)|\leq C \|f\|_1\text{.}\)

    Maintenant, considérons la suite de fonctions définie, pour \(n\in\N^*\text{,}\)

    \begin{equation*} f_n:x\in[0,1]\mapsto \begin{cases} 1-nx \text{ si } x\leq \frac1n\\ 0 \text{ si } x\gt \frac1n \end{cases} \end{equation*}

    Alors \(f_n\) est continue, donc \((f_n)_n\in E^\N\) et on a

    \begin{equation*} \|f_n\|_1 = \int_0^1 |f_n(t)| dt=\int_0^{\frac1n} 1-nt\, dt=\frac1{2n} \end{equation*}

    et d'un autre côté,

    \begin{equation*} A(f_n)=f_n(0)=1. \end{equation*}

    Donc on devrait avoir, pour tout \(n\in \N^*\text{,}\)

    \begin{equation*} |A(f_n)|\leq C\|f_n\|_1 \text{ i.e. } 1\leq \frac{C}{2n} \end{equation*}

    d'où, en faisant \(n\rightarrow \infty\text{,}\) \(1 \leq 0\text{,}\) ce qui est un problème.

    Donc on a eu tort de supposer qu'il existait une telle constance\(C\text{;}\) mais du coup, par la Preuve guidée 1.1, \(f\) ne peut pas être continue.

En dimension finie, comme toujours, la situation est simple: