Sauter au contenu

Section 4 Théorème d'isomorphisme de Banach

Dans le dernier exercice de la section précédente, on a introduit l'ensemble \(Isom(E)\) des endomorphismes continus et bijectifs de \(E\text{,}\) dont l'inverse est également continu.

Ce dernier point n'est pas automatique: il existe des endomorphismes continus et bijectifs, mais dont l'inverse n'est pas continu. Par exemple:

Preuve guidée 4.1.

Considérons l'espace vectoriel \(E=\R[X]\) des polynômes réels , muni de la norme \(\|.\|_\infty\) définie, pour \(P=\sum_{k=0}^{\deg P} a_k X^k\text{,}\) par:

\begin{equation*} \|P\|_\infty = \max_{k=0,\ldots,\deg P} |a_k| \end{equation*}

On s'intéresse à l'application:

\begin{equation*} T:P=\sum_{k=0}^{\deg P} a_k X^k \in E \mapsto \sum_{k=0}^{\deg P} \frac{a_k}{k+1} X^k \end{equation*}
(a)

Montrer que \(T \in \mathcal L(E)\) et que \(\|T\|_{\mathcal L(E)}=1\text{.}\)

(b)

Montrer que \(T\) est bijective et donner \(T^{-1}\text{.}\)

(c)

Montrer que l'endormorphisme \(T^{-1}\) n'est pas continu.

En fait, ce cas de figure ne peut se produire que dans les espaces vectoriels normés qui ne sont pas complets: c'est le cas de \((\R[X],\infty)\text{,}\) comme on le démontre ici.

Si \(E\) est un espace de Banach, alors l'inverse de tout endormorphisme bijectif et continu de \(E\) est automatiquement continu.

\(\leadsto\) C'est un théorème important de topologie, qu'on appelle, sans grande surprise, ``théorème d'isomorphisme de Banach'', et le but de cette section est de le démontrer.

Une question qu'on est en droit de se poser, c'est quel est le rapport entre la convergence des suites de Cauchy dans l'e.v.n. \(E\) et la continuité de ses endormorphismes. Deux théorèmes vont nous permettre de faire ce lien: le théorème de Baire et le théorème de l'application ouverte.

Le plan est le suivant. Soit \(A\in\mathcal L(E)\) un endomorphisme continu et bijectif de \(E\text{.}\) Le but du jeu est de montrer que son inverse \(A^{-1}\) est également continu.

Pour cela, la méthode "habituelle" pour montrer qu'une application linéaire est continue (majoration de \(\|A^{-1}(x)\|_E\)) va être impraticable, car on n'a aucune information sur \(A^{-1}\text{.}\) A la place, on va revenir à la définition topologique de la continuité: on va montrer que pour tout \(U\subset E\) ouvert, l'image réciproque de \(U\) par \(A^{-1}\) est un ouvert.

Or, \((A^{-1})^{-1}(U)=A(U)\text{,}\) donc il s'agit en fait de montrer que l'image par \(A\) de tout ouvert de \(E\) est un ouvert 1  .

On dit que \(A\) est une application ouverte. Original, je sais.
Preuve guidée 4.2.
(a)

Montrer que \(A\) est ouverte si, et seulement si, pour tout \(x_0\in E\) et pour tout \(r\gt 0\text{,}\) il existe \(\delta\gt 0\) tel que

\begin{equation*} B(A(x_0),\delta)\subset A(B(x_0,r)) \end{equation*}
(b)

En utilisant la continuité de \(A\text{,}\) en déduire que \(A\) est ouverte si, et seulement si, il existe \(c\gt 0\) tel que

\begin{equation*} B(0_E,c)\subset A(B(0_E,1)) \end{equation*}
Indication
\begin{equation*} B(x_0,r) = x_0 + r B(0_E,1) \end{equation*}
Spoiler

On va donc démontrer le résultat suivant, appelé...théorème de l'application ouverte:

Dans la preuve de ce résultat, la complétude de \(E\) va apparaître sous la forme du théorème de Baire: on commence donc par montrer celui-ci. C'est un résultat de pure topologie:

Preuve guidée 4.3.

Prouvons le théorème de Baire. Soit donc \((F_n)_n\) une suite de fermés tous d'intérieur vide. On veut montrer que \(\mathring{(\bigcup_{n\in\N} F_n)}=\emptyset\text{,}\) autrement dit, par passage au complémentaire,

\begin{equation*} {}^c \left(\mathring{(\bigcup_{n\in\N} F_n)}\right) = \overline{{}^c\left(\bigcup_{n\in\N} F_n\right)}=\overline{\bigcap_n {}^c F_n} = E \end{equation*}

\(\leadsto\) Posons , pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(O_n = {}^c F_n\text{.}\) Il s'agit de montrer que \(\bigcap_n O_n\) est dense dans \(E\text{.}\)

On est maintenant équipés pour montrer le théorème de l'application ouverte:

Preuve guidée 4.4.

Soit \(A\in \mathcal L(E)\) un endomorphisme continu et surjectif de \(E\text{.}\) On va procéder en deux étapes:

  • Etape 1 On montre d'abord qu'il existe \(c\gt 0\) tel que \(B(0,2c)\subset \overline{A(B(0_E,1))}\) 2 
  • Etape 2 De là, on montre que \(B(0,c)\subset A(B(0_E,1))\text{.}\)
Prendre une minute pour écrire à quelle condition, exactement, un vecteur \(y\in E\) appartient à \(\overline{A(B(0_E,1))}\text{.}\)
(a)

Question préliminaire 1: Montrer que l'ensemble \(\overline{A(B(0_E,1))}\) est convexe. En déduire que

\begin{equation*} \overline{A(B(0_E,1))}+\overline{A(B(0_E,1))}\subset 2\overline{A(B(0_E,1))} \end{equation*}
(b)

Question préliminaire 2: Montrer que pour tout \(\alpha\gt0\text{,}\)

\begin{equation*} \alpha \overline{A(B(0_E,1))}=\overline{A(B(0_E,\alpha))} \end{equation*}
(c)

Commençons par l'étape 1. On pose, pour \(n\in\N\text{,}\) \(F_n=n\overline{A(B(0_E,1))}\text{.}\) Montrer que

\begin{equation*} \bigcup_{n\in\N}F_n = E \end{equation*}
Indication
Utiliser la surjectivité de \(A\text{,}\) et le fait que \(E=\bigcup_n B(0,n)\text{.}\)
Spoiler
(d)

En déduire qu'il existe \(n_0 \in \N\) tel que \(\mathring{F_{n_0}}\neq \emptyset\text{,}\) puis que \(\overline{A(B(0_E,1))}\) est d'intérieur non vide.

Indication

Utiliser la contraposée du théorème de Baire.

Spoiler
(e)

\(\leadsto \) Il existe donc \(y_0\in E\) et \(c\gt 0\) tels que \(B(y_0,4c)\subset \overline{A(B(0_E,1))}\text{.}\)

En déduire que \(B(0_E,4c)\subset 2\overline{A(B(0_E,1))}\text{,}\) puis que \(B(0_E,2c)\subset \overline{A(B(0_E,1))}\text{.}\)

Ce qui termine l'étape 1!

Indication

Observer d'abord que \(B(0_E,4c)=-y_0+B(y_0,4c)\) et que \(y_0\in \overline{A(B(0_E,1))}\text{,}\) et utiliser la question préliminaire 1. Puis obtenir la deuxième partie avec la question préliminaire 2.

Spoiler
(f)

Passons maintenant à l'étape 2. Soit \(y\in B(0,c)\text{,}\) on veut montrer que \(y\in A(B(0_E,1))\text{,}\) donc on cherche \(x\in E\) tel que \(\|x\|_E \lt 1\) et \(A(x)=y\text{.}\)

Montrer que \(B(0_E,c)\subset \overline{A(B(0_E,\frac12))}\text{.}\) En déduire que, pour tout \(\varepsilon\gt 0\text{,}\) il existe \(z\in E\) tel que

\begin{equation*} \|z\|_E \lt \frac 12 \text{ et } \|y-A(z)\|_E\lt \varepsilon \end{equation*}
(g)

On applique ce résultat avec \(\varepsilon = \frac{c}2\) pour obtenir \(z_1\in B(0_E,\frac 12)\) tel que \(\|y-A(z_1)\|_E\lt \frac{c}2\text{.}\)

En faisant un raisonnement similaire avec \(y-A(z_1)\in B(0_E,\frac c2)\) à la place de \(y\text{,}\) et \(\varepsilon = \frac c4\text{,}\) montrer qu'il existe \(z_2\in B(0_E,\frac 14)\) tel que \(\|y-A(z_1)-A(z_2)\|_E\lt \frac{c}4\text{.}\)

(h)

Construire une suite \((z_n)_n\in E^\N\) telle que , pour tout \(n\in \N\text{,}\) \(\|z_n\|_E \lt \frac1{2^n}\) et

\begin{equation*} \|y-(A(z_1)+A(z_2)+...+A(z_n))\|_E\lt \frac{c}{2^n} \end{equation*}
(i)

Montrer que la série de terme général \((z_n)_n\) converge dans \(E\text{.}\)

On note \(s=\sum_{n=1}^\infty z_n\in E\text{;}\) montrer que \(\|s\|_E\lt 1\) et que \(A(s)=y\text{.}\)