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Section 4 Sous-ensemble non-borélien de \(\mathbb R\)

Il est très difficile d'imaginer un ensemble non borélien dans \(\mathbb R\text{.}\) Mais il y en a:

On commence par partitionner \([-1, 1]\) en sous-ensembles bien choisis. A chaque \(a\in [-1,1]\text{,}\) on associe l'ensemble:

\begin{equation*} C_a = \{x \in [-1,1], x-a \in \mathbb Q\} \end{equation*}

Remarquons que \(a\in C_a\) puisque \(a-a=0\in \mathbb Q\text{.}\)

Les \(C_a\) vérifient les propriétés suivantes:

  1. Pour tout \(a \in [-1,1]\text{,}\) \(C_a \subset [-1,1]\) donc \(\bigcup_{a\in[-1,1]}C_a \subset [-1,1]\text{.}\) Réciproquement, si \(a \in [-1,1]\text{,}\) \(a \in C_a \subset \bigcup_{a\in[-1,1]}C_a\text{.}\) Donc, \([-1,1] = \bigcup_{a\in[-1,1]}C_a\text{.}\)

  2. Les \(C_a\) sont soit disjoints, soit confondus. En effet, supposons qu'il existe \(x \in C_a \cap C_b\) (autrement, \(C_a \cap C_b \neq \emptyset\)) et montrons qu'alors \(C_a=C_b\text{.}\) On a

    \begin{equation*} \begin{cases} x-a \in \mathbb Q \\ x-b \in \mathbb Q. \end{cases} \end{equation*}

    Soit \(y\in C_a\text{.}\) Alors \(y-a \in \mathbb Q\text{.}\) D'autre part, \(y-b = (y-a) +(a-x)+(x-b) \) est la somme de trois rationnels, donc \(y-b \in \mathbb Q\text{.}\) Ainsi, \(y\in C_b\text{.}\) On montre de même que \(C_b \subset C_a\text{,}\) donc \(C_a = C_b\text{.}\)

  3. Ainsi, les \(C_a\) forment une partition de \([-1,1]\text{.}\)

Prenons un élément de chaque \(C_a\) (après avoir éliminé les doublons) et mettons-les tous dans un ensemble \(V\subset [-1,1]\)  1 .

Cette opération apparemment innocente fait intervenir l'axiome du choix, un axiome assez controversé de la théorie des ensembles.

Considérons maintenant \(\mathbb Q \cap [-2,2]\) l'ensemble des rationnels entre -2 et 2. C'est un ensemble dénombrable, donc on peut l'écrire sous forme d'une suite \((r_k)_{k \in \mathbb N}\text{.}\) Pour chaque \(k\in \mathbb N\text{,}\) on considère \(V_k=r_k + V\text{.}\) Alors, si \(V\) étaient borélien, on aurait \(\boxed{\mu_1(V_k) =\mu_1(V)}\) pour tout \(k\text{,}\) par l'invariance par translation de \(\mu_1\text{.}\)

Par ailleurs, les \(V_k\) sont tous disjoints. En effet, si \(x \in V_k \cap V_j\) alors \(x=r_k +v_1 = r_j+v_2\) donc \(v_1-v_2 = r_j -r_k \in \mathbb Q\text{,}\) donc \(v_1 \in C_{v_2}\text{.}\) Mais \(v_2 \in C_{v_2}\text{,}\) et \(V\) ne contient qu'un élément de chaque classe \(C_a\text{.}\) On a donc forcément \(v_1 = v_2\text{,}\) donc \(r_j = r_k\text{.}\) Par contraposée, dès que \(r_j \neq r_k\text{,}\) \(V_k \cap V_j=\emptyset\text{.}\)

On en déduit, par sous-additivité,

\begin{equation*} \mu_1\left(\bigcup_{k\in \mathbb N} V_k\right) \leq \sum_{k\in \mathbb N} \mu_1(V_k)= \sum_{k\in \mathbb N} \mu_1(V) \end{equation*}

Il y a donc deux cas de figure: soit \(\mu_1(V) = 0\text{,}\) et alors \(\mu_1\left(\bigcup_{k\in\mathbb N} (r_k + V)\right)=0\text{,}\) soit \(\mu_1(V) > 0\text{,}\) et alors \(\mu_1\left(\bigcup_{k\in\mathbb N} (r_k + V)\right)=\infty\text{.}\)

Mais aucun de ces deux cas n'est possible, comme on va le voir.

D'abord, remarquons que si \(x \in [-1,1]\text{,}\) alors il existe \(v \in V\) tel que \(v \in C_x\) (puisque \(V\) contient un élément de chaque classe \(C_a\)). Donc il existe \(q \in \mathbb Q\) tel que \(v-x = q\text{.}\) De plus, comme \(x \in [-1,1]\) et \(v\in [-1,1]\text{,}\) on a aussi \(q \in [-2,2]\text{.}\) On en déduit que \(-q\) est aussi un rationnel dans \([-2,2]\text{,}\) donc \(-q\) est l'un des \(r_k\text{.}\) Donc \(x= -q +v = r_k +v \in r_k + V\text{.}\)

On en déduit que \(\boxed{[-1,1] \subset \bigcup_{k\in\mathbb N} V_k}.\text{,}\) donc:

\begin{equation*} \mu_1\left(\bigcup_{k\in\mathbb N} (r_k + V)\right) \geq \mu_1([-1,1]) = 2. \end{equation*}

On ne peut donc pas avoir \(\mu_1(V) = 0\text{.}\)

Par ailleurs, pour tout \(k\text{,}\) \(V_k \subset [-3,3]\) (car \(r_k \in [-2,2]\) et \(V \subset [-1,1]\)) donc

\begin{equation*} \boxed{\bigcup_{k\in\mathbb N} V_k \subset [-3,3]}. \end{equation*}

Par monotonie de \(\mu_1\text{,}\) on a donc

\begin{equation*} 2 \leq \mu_1\left(\bigcup_{k\in\mathbb N} V_k\right) \leq \mu_1([-3,3])=6 \end{equation*}

On ne peut donc pas avoir \(\mu_1(V) > 0\text{.}\)

Il n'y a donc aucune possibilité raisonnable pour mesurer \(V\text{:}\) donc ce n'est pas un borélien. En fait, ce n'est même pas un élément de la tribu complétée de Lebesgue.

Pour se faire une idée de ces étranges ensembles \(V\) et \(V_k\text{:}\)