Section 4.3 Mesure de Borel sur \((\mathbb R, \mathscr B(\mathbb R))\)
Tous ces exemples, c'est merveilleux, mais, même si on a vu tout un tas de mesures sur \(\R\text{,}\) jusqu'ici aucune ne fait ce qu'on veut vraiment: calculer des longueurs.
Le seul candidat raisonnable qu'on a vu jusqu'ici, c'est la mesure extérieure du Chapitre 2, et elle ne marche pas pour tous les sous-ensembles 1 .
Pour nous sortir de là, on va suivre les pas d'Emile et Henri. Notre problème, c'est que la mesure extérieure n'est pas additive: certains sous-ensembles bizarres vérifient \(A\cap B=\emptyset\) mais pas \(A\cup B|=|A|+|B|\text{.}\)
Pour contourner ceci, on va....ignorer ces cas pathologiques. Définissons définir des ensembles respectables, qui vérifient l'additivité:
(Historiquement, on les appelle plutôt Lebesgue-mesurables, puisque c'est Henri Lebesgue qui les a étudiés dans sa thèse, "Intégrale, longueur, aire" 2 en 1902.)
De son côté, Emile Borel avait introduit, dans sa Leçon sur la théorie des fonctions 3 de 1898, une autre catégorie d'ensembles prometteurs: le tribu des boréliens \(\B(\R)\) 4 .
Ce qu'on va montrer maintenant, c'est que les boréliens sont respectables:
autrement dit, la mesure extérieure est additive sur la tribu des boréliens. Et on va améliorer ce résultat pour obtenir que la mesure extérieure est \(\sigma\)-additive sur \(\B(\R)\text{.}\)
Le plan de bataille est le suivant:
Etape 1: On commence par montrer que les intervalles sont respectables, ainsi que leurs unions finies.
Etape 2 :Puis on montre que les ouverts et les fermés sont respectables.
Pour montrer que les boréliens sont respectables, on va les approximer par des fermés: ce seront les étapes 3 et 4.
Enfin, on montre que la mesure extérieure, restreinte au boréliens, est une vraie mesure: elle est \(\sigma\)-additive.
Exercice 4.3.1 Etape 1: \(\T\) contient les unions d'intervalles ouverts
1.
Montrer que si \(I\) est un intervalle ouvert de \(\R\) tel que \(\ell(I)=+\infty\text{,}\) alors \(I\in\T\text{.}\)
2.
Evidemment, le cas intéressant, c'est celui des intervalles de longueur finie.
Soit donc \(I=\lbb a, b \rbb\) un intervalle ouvert borné, et \(A\subset \R\) un sous-ensemble de \(\R\) tel que \(A\cap I=\emptyset\text{.}\) On suppose dans un premier temps que \(a,b\notin A\text{.}\)
Soit \((J_n)_n\) une suite d'intervalles telle que
Montrer que
et en déduire que
Considérer les suites intervalles
et comparer la somme de leurs longueurs à \(|I|\) et \(A\) respectivement.
Pour obtenir l'égalité, se rappeler qu'on a déjà montré que la mesure extérieure est sous-additive à la Proposition 2.2.3.
3.
On avait jusqu'ici supposé que \(a,b\notin A\) . Il va falloir se débarrasser de cette hypothèse supplémentaire.
Montrer que
et conclure que, pour tout intervalle ouvert borné \(I=\lbb a, b \rbb\) et \(A\subset \R\) tel que \(A\cap I = \emptyset\text{,}\)on a
même si \(a\in A\) ou \(b\in A\text{.}\)
4.
En déduire que, si \(I_1,\ldots,I_m\) sont des intervalles ouverts deux à deux disjoints, et \(A\subset \R\) tel que
on a:
Exercice 4.3.2 Etape 2: \(\T\) contient les ouverts et les fermés
1.
Montrer que, si \(U\) est un ouvert de \(\R\text{,}\) alors il existe une suite d'intervalles disjoints \((I_n)_n\) telle que
et surtout telle que pour tout \(A\subset \R\) tel que \(A\cap U = \emptyset\text{,}\) pour tout \(m\in\N\)
On a trouvé, il n'y a pas si longtemps, un lien intéressant entre les ouverts et les intervalles.
2.
En déduire que, si \(U\) est un ouvert de \(\R\text{,}\) alors pour tout \(A\subset \R\) tel que \(A\cap U = \emptyset\text{,}\) on a bien
3.
Enfin, montrer qu si \(F\) est un ouvert de \(\R\text{,}\) alors pour tout \(A\subset \R\) tel que \(A\cap F = \emptyset\text{,}\) on a bien
Exercice 4.3.3 Etape 3: les boréliens, c'est presque des fermé.
On l'a vu à la Section 3.4, il n'est pas facile de passer des ouverts aux boréliens, car tous les boréliens ne sont pas des unions d'ouverts, ni même dest intersections d'unions de complémentaire d'unions d'ouverts.
Et ça nous bloque un peu dans notre entre prise de fourrer le plus d'ensembles possibles dans \(\T\text{:}\) on a montré que \(\T\) contient les ouverts...et maintenant ?
Pour négocier cette transition, on va appliquer une méthode si classique que c'est le titre du livre d'Analyse 5 de Terrence Tao: on va se donner un \(\varepsilon\) de place pour manoeuvrer, puis on se débarassera de ce \(\varepsilon\) en le faisant impitoyablement tendre vers 0.
On va montrer que, même si tous les boréliens ne sont clairement pas des ouverts, ou des fermés, si on a un borélien \(B\text{,}\) on peut toujours trouver un fermé \(F\) qui "l'approxime de l'intérieur" par un dans le sens où

1.
On introduit l'ensemble des sous-ensembles de \(\R\) qui sont approximables par des ouverts:
Le but est de montrer que tous les boréliens sont dans \(\mathcal L\text{.}\)
Justifier que, pour ça:
il suffit qu'on montre que \(\mathcal L\) est une tribu;
-
et, pour ça, il suffit qu'on montre que \(\mathcal L \) est stable par intersection dénombrable et par passage au complémentaire, autrement dit:
\begin{equation*} \forall (D_n)_n \in \mathcal L^\N, \bigcap_{n\in \N} D_n \in \mathcal L,\quad \forall D\in \mathcal L, D^c \in \mathcal L \end{equation*}
2.
Intersection dénombrable: Soit \((D_n)_n \in \mathcal L^\N\) et \(\varepsilon \gt 0\text{.}\) On cherche un fermé \(F\) tel que
Trouver d'abord une suite de fermés \((F_n)_n\) telle que
Puis en déduire un \(F\) qui marche.
3.
Complémentaire: Soit \(D\in\mathcal L\text{;}\) suppososn dans un premier temps que \(|D|\lt +\infty\text{.}\) On cherche donc un fermé \(F\) tel que
Commencer par trouver un ouvert \(U\) tel que
En déduire un fermé \(F\) qui marche.
4.
Il nous reste le cas où \(D\in\mathcal L\) et \(|D|=+\infty\text{.}\)
Justifier que dans ce cas, pour tout \(k\in\N\text{,}\) \(D_k=D\cap \rbb -k,k\lbb \in \mathcal L\text{.}\)
Justifier que \(D_k^c\in\mathcal L\) et, de là, que \(D^c \in\mathcal L\text{.}\)
5.
Conclure approximativement.
Exercice 4.3.4 Etape 4: \(\T\) contient les boréliens
1.
Montrer que, pour tout \(B\in\B(\R)\text{,}\) pour tout \(A\subset \R\text{,}\) si \(A\cap B=\emptyset\text{,}\) on a pour tout \(\varepsilon \lt 0\)
et en déduire que \(B\in\T\text{.}\)
Exercice 4.3.5 Etape 5: la mesure extérieure est \(\sigma\)-additive sur \(\B(\R)\text{.}\)
1.
Montrer que \(|.|\) est additive sur \(\B(\R)\text{:}\) pour tous \(B_1,...,B_m\in\B(\R)\) disjoints,
2.
En déduire que si \((B_n)_n\) est une suite de boréliens deux à deux disjoints, on a
Commencer par montrer, à coup de croissance de \(|.|\), que
et, de là, utiliser la sous-additivité de \(|.|\) pour avoir l'égalité.
Ce qui termine (presque !) la preuve de:
Théorème 4.3.1.
La mesure extérieure de la Définition 2.1.1, restreinte à la tribu de Borel \(\mathscr B(\mathbb R)\text{,}\) définit une mesure \(\mu_1: \mathscr B(\mathbb R) \rightarrow \rbb 0,\infty\lbb \text{,}\) invariante par translation et telle que pour tout intervalle ouvert \(I\text{,}\) \(\mu_1(I)=\ell(I)\text{.}\)
C'est la seule mesure sur \((\mathbb R, \mathscr B(\mathbb R))\) ayant ces propriétés; on l'appelle mesure de Borel.
Il ne nous reste qu'à montrer l'unicité: autrement dit que si \(\mu_1,\mu_2\) sont deux mesures sur \((\R,\B(\R))\) telles que
\(\mu_1(\lbb a,b\rbb) = b-a = \mu_1(\lbb a,b\rbb)\) pour tous réels \(a,b\text{;}\)
Pour tout borélien \(A\text{,}\) pour tout \(t\in\R\text{,}\) \(\mu_1(A+t) = \mu_1(A)\) et \(\mu_2(A+t) = \mu_2(A)\)
on a, pour tout \(A\in \B(\R)\text{,}\)
Mais des boréliens, il y en a beaucoup. Vraiment beaucoup.
On va donc reprendre notre souffle et on se posera cette question demain. Enfin, à la section suivante.
Une fois qu'on aura vérifié qu'elle est unique, la mesure de Borel répond donc à toutes nos exigences: on garde les bonnes propriétés de la mesure extérieure, et on gagne l'additivité (et l'unicité: il n'y a pas trente-six bonnes façons de mesurer).
On va donc pouvoir avancer vers une notion d'intégrale liée à cette mesure: rappelons que le but de tout ceci était d'intégrer des fonctions en découpant, non pas par sous-intervalles sur l'espace de départ, mais sur l'espace d'arrivée, de façon à tenir compte des spécificités de \(f\text{:}\)
La restriction aux boréliens signifie, en revanche, qu'on ne peut pas intégrer toutes les fonctions: il faut que \(f^{-1}(\rbb y_i,y_{i+1}\lbb )\) soit un borélien. L'objet du prochain chapitre sera de départager les fonctions qui vérifient cette propriété.
Mais avant cela, vérifions qu'on ne peut pas tirer un peu plus sur la corde, c'est-à-dire mesurer encore plus d'ensembles avec notre mesure de Borel toute neuve. Ce sera l'occasion de croiser quelques phénomènes de foire parmi les sous-ensembles de \(\mathbb R\text{.}\)
Subsection 4.3.6 Mesure de Borel sur \(\Rb\)
On peut tirer encore un petit peu et étendre \(\mu\) à \(\Rb\text{.}\)
On a vu que la topologie habituelle sur \(\R\) est la topologie induite par notre topologie sur \(\Rb\text{.}\) Mais du coup , par la proposition,
autrement dit, les boréliens de \(\Rb\) sont soit des boréliens de \(\R \text{,}\) soit \(B\cup\{+\infty\},B\cup\{-\infty\}\) ou \(B\cup\{\pm\infty\}\) avec \(B\) un borélien de \(\R.\)
Cela nous permet d'étendre facilement la mesure de Borel \(\mu_1\text{,}\) initialement définie sur \(\B(\R)\text{,}\) à \(\B(\Rb)\text{.}\) On définit la mesure \(\mu_{\Rb}\) de Borel sur \(\Rb\) par
Ce qui nous donne bien une mesure sur \((\Rb,\B(\Rb)):\)
\(\displaystyle \mu_{\Rb}(\emptyset)=\mu(\emptyset\cap\R)=\mu(\emptyset)=0;\)
-
Si \((A_{n})_{n}\subset(\B(\Rb))^{\N}\) est une famille dénombrable disjointe de boréliens de \(\Rb\text{,}\) alors la famille \((B_{n})_{n}\) définie par
\begin{equation*} B_{n}=A_{n}\cap\R \end{equation*}est une famille de boréliens de \(\R\text{,}\) et pour tout \(n\neq m\text{,}\)
\begin{equation*} B_{n}\cap B_{m}=(A_{n}\cap\R)\cap(A_{m}\cap\R)=(A_{n}\cap A_{m})\cap\R=\emptyset \end{equation*}donc
\begin{align*} \mu_{\Rb}\left(\bigcup_{n\in\N}A_{n}\right) \amp =\mu\left(\left(\bigcup_{n\in\N}A_{n}\right)\cap\R\right)\\ \amp=\mu\left(\bigcup_{n\in\N}\left(A_{n}\cap\R\right)\right)\\ \amp =\mu\left(\bigcup_{n\in\N}B_{n}\right)=\sum_{n\in\N}\mu(B_{n})\\ \amp =\sum_{n\in\N}\mu(A_{n}\cap\R)\\ \amp= =\sum_{n\in\N}\mu_{\Rb}(A_{n}) \end{align*}
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