Section 7.1 Leonhard, entre un exposé sur le mouvement de la Lune et une refonte complète du calcul intégral, s'intéresse aux sommes infinies
Les sommes infinies sont apparues très tôt dans l'histoire des mathématiques occidentales: Archimède, par exemple, une fois sorti de sa baignoire, s'est intéressé au calcul de l'aire sous une parabole par la méthode d'exhaustion 1 , alors très en vogue, ce qui l'amena a étudier la série géométrique
Beaucoup plus tard, des mathématiciens aussi réputés que Newton et Leibniz ou des astronomes comme Gregory avaient été amenés par les méandres de leurs travaux, à étudier certaines séries particulières, généralement convergentes puisqu'elles provenaient de problèmes de physique ou de géométrie. Un exemple notable est l'approximation de \(\pi\) par la somme
En particulier, le calcul de la somme
posé par Mengoli au 17ème siècle, a intéressé les frères Bernoulli, Johan et Jakob, vivant à Bâle, d'où le nom de cette question: le problème de Bâle.
Parallèlement, l'analyse prenait son envol en tant que domaine d'étude purement mathématique, et se posaient toutes sortes de questions concernant des sommes infinies possiblement divergentes, mais dont l'étude donnait des résultats importants.
Leonhard Euler, qu'on a déjà croisé ("l'Homme au Torchon Occipital"), a été historiquement l'un des premiers à s'intéresser systématiquement aux séries 2
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Il s'intéressa notamment au problème de Bâle, qui avait résisté pendant un siècle aux assauts des successeurs de la fratrie Bernoulli, notamment en raison de l'insoutenable lenteur de la convergence: obtenir six décimales exactes pour la somme
requiert de sommer un million de termes. A la main. Enfin, à la plume. Euler rejoint la mêlée et identifia une solution pour le moins inattendue: \(\frac{\pi^2}{6}\text{,}\) au soulagement collectif de la population avicole suisse. Mais c'est une autre histoire, qui sera racontée une autre fois 7 .
Quiconque a déjà cherché à creuser un sujet sur Wikipédia le sait : se plonger dans une question mène invariablement à une centaine d'autres. Et l'étude de cette série convergente ouvrit dans l'esprit d'Euler un nombre considérables d'onglets, parmi lesquels le développement de la première vraie théorie des séries divergentes, exposée dans un article intitulé De seriebus divergentibus 9 .
Assez notable est la controverse sur la série \(1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 +...\) dont la somme a été donnée par Leibniz comme étant \(\frac12\text{,}\) bien que d’autres ne soient pas d’accord. Personne n’a encore assigné de valeur à cette somme, et donc la controverse porte sur la question de savoir si les séries de ce type ont une somme. La compréhension de cette question réside dans le mot "somme"; cette idée, si on la conçoit ainsi –la somme d’une série est la quantité dont on s’approche d’autant plus qu’on ajoute plus de termes– ne vaut que pour les séries convergentes, et nous devrions en général abandonner cette idée pour des sommes de séries divergentes.
On ne saurait donc reprocher à ceux qui définissent la somme ainsi d'affirmer qu'ils ne peuvent assigner une somme à la série.
D'un autre côté, puisqu'en analyse les séries proviennent del'expansion de fractions ou de quantités irrationnelles 10 , il sera permissible dans un calcul de substituer à la série la quantité dont elle est le développement.
―Leonhard Euler, De seriebus divergentibus.
Il était donc clair pour Euler que la définition d'une série divergente est avant tout affaire de convention, et de choix de définition: c'est l'approche qu'on a suivi jusqu'ici, et elle est naturelle en mathématiques contemporaines.
Mais l'idée que les symboles et termes mathématiques n'ont pas de sens intrinsèque, naturel, et doivent être définis, est une innovation du XXème siècle: à l'époque d'Euler, on ne se demandait pas "Comment définir 1-1+1-1..." (donc, on a le choix) mais "Qu'est 1-1+1-1..." dans l'absolu. Euler, en ce sens commen en bien d'autres, avait quelques longueurs d'avance.
Par la suite, bien que basé sur cette même idée de définitions précises, le développement rigoureux de l'analyse au XIXème siècle, notamment par Cauchy et Abel, exorcisa complètement l'étude des séries divergentes, et le projet d'Euler se perdit.
Il y gagna de plus la réputation d'avoir une attitude assez...disons, détendue du point de vue des justifications de ses extraordinaires intuitions. Ce n'est pas faux, mais cela ne reflète en fait que les mathématiques de son temps: son seul crime a été de repousser leurs limites plus loin que quiconque.
fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thode_d%27exhaustion
en.wikipedia.org/wiki/Euler%27s_critical_load
upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c2/Euler_Tab._Geogr._Africae_1753_UTA.jpg/1024px-Euler_Tab._Geogr._Africae_1753_UTA.jpg
en.wikipedia.org/wiki/List_of_things_named_after_Leonhard_Euler
eulerarchive.maa.org/
carolinevernier.website/basel_pb/base_pb.html
arxiv.org/pdf/1808.02841.pdf