Section 3 Equivalence de normes
Définition 3.1.
Soient \(N_1\text{,}\) \(N_2\) deux normes sur un espace vectoriel \(E\text{.}\) On dit que \(N_1\) et \(N_2\) sont équivalentes s'il existe deux constantes \(a\gt 0,b\gt 0\) telles que
Projet 3.1. Equivalence des normes usuelles sur \(\mathbb R^n\text{.}\).
(a)
Montrer que les normes \(\|.\|_1\) et \(\|.\|_\infty\) sont équivalentes.(b)
Montrer que les normes \(\|.\|_2\) et \(\|.\|_\infty\) sont équivalentes.(c)
En déduire que les normes \(\|.\|_1\) et \(\|.\|_2\) sont équivalentes.Remarque 3.2.
Plus généralement, la relation d'équivalence des normes est transitive: si \(N_1,N_2,N_3\) sont trois normes sur \(E\) telles que
\(N_1\) et \(N_2\) sont équivalentes
\(N_2\) et \(N_3\) sont équivalentes
alors \(N_1\) et \(N_3\) sont équivalentes.
Lorsqu'on a deux normes équivalentes \(N_1\) et \(N_2\) sur un espace vectoriel \(E\text{,}\) toutes les notions de topologie et d'analyse liées à chacune de ces normes coïncident:
Une partie \(A \subset E\) est bornée pour \(N_1\) ssi elle est bornée pour \(N_2\text{.}\)
Une partie \(V \subset E\) est un voisinage de \(\vec a \in E\) pour \(N_1\) ssi c’est un voisinage de \(\vec a\) pour \(N_2\text{.}\)
Une partie \(O\subset E\) est ouverte pour la norme \(N_1\) si, et seulement si, elle est ouverte pour la norme \(N_2\text{.}\)
Une suite \((\vec x_n)_{n\in\mathbb N}\) converge pour \(N_1\) si, et seulement si, elle converge pour \(N_2\) et, dans ce cas, sa limite est la même pour les deux normes.
Une partie \(F\subset E\) est fermée pour la norme \(N_1\) si, et seulement si, elle est fermée pour la norme \(N_2\text{.}\)
Une application \(f : (E, N_1) \rightarrow (F, \|.\|)\) est continue si, et seulement si, \(f : (E, N_2) \rightarrow (F, \|·\|)\) est continue.
Une application \(g : (F, \|·\|) \rightarrow (E, N_1)\) est continue si, et seulement si, \(g : (F, \|·\|) \rightarrow (E, N_2)\) est continue.

C'est grâce à cela qu'on n'aura pas à s'inquiéter outre mesure de notre choix de normes sur \(\mathbb R^d\text{.}\) En effet:
Projet 3.2. Toutes les normes sur \(\mathbb R^d\) sont équivalentes.
(a)
Montrer qu'il existe \(a \gt 0\) tel que, pour tout \(\vec x \in \mathbb R^d\text{,}\) \(N(\vec x) \leq a \|\vec x\|_1.\text{.}\)On note \((\vec e_1,\ldots,\vec e_d)\) la base canonique de \(\R^d\text{.}\) Alors, pour tout \(\vec x=(x_1,\ldots,x_d)\in\R^d\) on a \(\vec x = x_1\vec e_1 + \ldots +x_d \vec e_d\) donc
Notons \(\alpha=\max_{i=1...,d}N(\vec e_i)\text{.}\) Alors \(a\geq 0\) (car \(N\) vérifie N1 donc \(N(\vec e_i)\geq 0\) pour tout \(i\)). En fait, c'est mieux que ça: puisque pour tout \(i\text{,}\) \(\vec e_i\neq\vec 0\text{,}\) \(N(\vec e_i)\gt 0\) par N2. Donc \(a\gt 0\text{.}\)
On a donc, pour tout \(\vec x \in\R^d\text{,}\)
(b)
On va montrer qu'il existe \(b\gt 0\) tel que pour tout \(\vec x \in \mathbb R^d,\ \|\vec x\|_1\leq b N(\vec x)\text{.}\) Pour cela, on va raisonner par l'absurde.
On suppose donc 1 :
Montrer qu'alors, pour tout \(b\gt 0\text{,}\) il existe \(\vec y_b\in \mathbb R^d\) tel que \(\|\vec y_b\|_1 = 1\) et \(b N(\vec y_b)\lt 1\text{.}\)
Soit \(b \gt 0\text{.}\) On a supposé qu'on avait un \(vec x_b \in \mathbb R^d\) tel que \(\|\vec x_b\|_1\gt b N(\vec x_b)\text{.}\) Posons:
Comme \(\|.\|_1\) est une norme, elle vérife N3. Donc, puisque \(\frac1{\|x_b\|_1}\) est un réel positif,
et d'autre part, puisque \(N\) aussi vérifie N3,
\(\leadsto\) Le vecteur \(\vec y_b\) fait le café !
(c)
En déduire que pour tout \(n\in \mathbb N^*\text{,}\) il existe \(\vec y_n \in \mathbb R^d\) tel que
Soit \(n\in \mathbb N^*\text{.}\) Appliquons ce qu'on a obtenu à la question précédente avec \(b=n\text{:}\) on a montré qu'il existe \(\vec y_n\in\R^d\) tel que
ce qui équivaut à
comme souhaité.
(d)
On a ainsi construit une suite de vecteurs \((\vec y_n=(y_{1,n},y_{2,n},...,y_{d,n}))_n\) telle que, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\)
Montrer qu'il existe une application strictement croissante \(\phi_1:\N^*\rightarrow \N^*\) et \(y_1\in \R\) tels que
On pourra utiliser le théorème de Bolzano-Weierstrass 2 :
Théorème 3.3.
Soit \((u_n)_{n\in \mathbb N} \in \mathbb R^{\mathbb N}\) une suite réelle bornée. Alors \((u_n)_n\) admet une sous-suite convergente: il existe une application \(\sigma: \mathbb N \rightarrow \mathbb N\) strictement croissante et un réel \(u\) tels que \(u_{\sigma(n)} \rightarrow u_1\) dans \(\mathbb R\text{.}\)
Puisque, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\) \(\|\vec y_n\|_1 = 1 \text{,}\) on a en particulier
donc la suite réelle \((y_{1,n})_n\) est bornée. D'après le théorème de Bolzano-Weierstrass, elle admet donc une suis-suite convergente: il existe une application strictement croissante \(\phi_1:\N^*\rightarrow \N^*\) et \(y_1\in \R\) tels que
et c'est exactement ce qu'on voulait.
(e)
On considère maintenant la deuxième coordonnée de \(\vec y_n\text{,}\) plus précisément la suite \((y_{2,\phi_1(n)})_n\text{.}\) Montrer qu'il existe une application strictement croissante \(\phi_2:\N^*\rightarrow \N^*\) et \(y_2\in \R\) tels que
Vers quoi tend la suite \((y_{1,\phi_1\circ\phi_2(n)})_n\text{?}\)
Rappelons que, si \((u_n)_n\in\R^\N\) est une suite convergente, de limite \(\ell\text{,}\) alors pour toute application \(\sigma: \mathbb N \rightarrow \mathbb N\) strictement croissante, lasuite extraite \((u_{\sigma(n)})_n\) converge aussi vers \(\ell\text{.}\)
Comme précédemment, puisque, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\) \(\|\vec y_n\|_1 = 1 \text{,}\) on a
et donc en particulier, pour tout \(n\text{,}\)
donc la suite réelle \((y_{2,\phi_1(n)})_n\) est bornée. D'après le théorème de Bolzano-Weierstrass, elle admet donc une suis-suite convergente: il existe une application strictement croissante \(\phi_2:\N^*\rightarrow \N^*\) et \(y_2\in \R\) tels que
De plus, \((y_{1,\phi_1\circ\phi_2(n)})_n\) est une suite extraite de la suite convergente \((y_{1,\phi_1(n)})_n\) donc
(f)
En itérant cette idée, déduire qu'il existe \(\sigma:\N^*\rightarrow\N^*\) strictement croissante et \(y_1,\ldots,y_d\) réels tels que, pour tout \(i=1,\ldots,d\text{,}\)
On a déjà trouvé \(\sigma_2=\phi_1\circ\phi_2:\N^*\rightarrow\N^*\) croissante telle que \(y_{1,\sigma_2(n)}\rightarrow y_1\) et \(y_{2,\sigma_2(n)}\rightarrow y_2\text{.}\) Comment peut-on construire un \(\sigma_3:\N^*\rightarrow\N^*\) qui fasse converger \(y_{1,\sigma_3(n)},y_{2,\sigma_3(n)}\) et \(y_{3,\sigma_3(n)}\) ?
Montrons par récurrence que, pour tout \(i=1,\ldots,d\text{,}\) il existe \(\sigma_i: \N^* \rightarrow \N^*\) strictement croissante telle que, pour tout \(j\leq i\text{,}\) la suite \((y_{j,\sigma_i(n)})_n\) converge.
-
Initialisation: Pour \(n=1\text{,}\) on a obtenu plus haut une application strictement croissante \(\phi_1:\N^*\rightarrow \N^*\) et \(y_1\in \R\) tels que
\begin{equation*} y_{1,\phi_1(n)}\xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} y_1 \text{ dans } \R \end{equation*} -
Hérédité: Supposons qu'on a trouvé \(\sigma_i: \N^* \rightarrow \N^*\) strictement croissante telle que, pour tout \(j\leq i\text{,}\) la suite \((y_{j,\sigma_i(n)})_n\) converge vers un réel \(y_j\text{.}\) On cherche maintenant \(\sigma_{i+1}: \N^* \rightarrow \N^*\) strictement croissante et \(y_{i+1}\in \R\) tels que
\begin{equation*} y_{i+1,\sigma_{i+1}(n)}\rightarrow y_{i+1} \end{equation*}et, pour tout \(j\leq i\text{,}\)
\begin{equation*} y_{j,\sigma_{i+1}(n)}\rightarrow y_j \end{equation*}Pour garantir cette deuxième condition, on l'a vu, il suffit que \((y_{j,\sigma_{i+1}(n)})_n\) soit une suite extraite de la suite convergente \((y_{j,\sigma_{i}(n)})_n\text{.}\)
Considérons donc la suite \((y_{i+1,\sigma_{i}(n)})_n\text{.}\) On a, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\)
\begin{equation*} |y_{i+1,\sigma_{i}(n)}| \leq |y_{1,\sigma_{i}(n)}|+...+|y_{d,\sigma_{i}(n)}| = \|\vec y_{\sigma_{i}(n)}\|_1=1 \end{equation*}autrement dit, \((y_{i+1,\sigma_{i}(n)})_n\) est uen suite bornée. Par le théorème de Bolzano-Weierstrass, alle admet donc une sous-suite convergente: il existe \(\phi_{i+1}: \N^* \rightarrow \N^*\) strictement croissante et \(y_{i+1}\in \R\) tels que
\begin{equation*} y_{i+1,\sigma_{i}(\phi_{i+1}(n)}\rightarrow y_{i+1} \end{equation*}Posons \(\sigma_{i+1}=\sigma_{i}\circ \phi_{i+1}\text{.}\) Alors
\(\sigma_{i+1}: \N^* \rightarrow \N^*\) est strictement croissante;
Pour chaque \(j=1...,i\text{,}\) \((y_{j,\sigma_{i+1}(n)})_n\) est une suite extraite de \((y_{j,\sigma_{i}(n)})_n\text{,}\) donc converge vers \(y_j\text{;}\)
\(y_{i+1,\sigma_{i+1}(n)}\rightarrow y_{i+1}\text{.}\)
Donc on a gagné !
Et donc, pour trouver \(\sigma:\N^*\rightarrow\N^*\) qui fait converger \((y_{i,\sigma(n)})_n\) pour tout \(i\text{,}\) on prend \(\sigma=\sigma_d\text{.}\)
(g)
On note \(\vec y=(y_1,\ldots,y_d)\in\R^d\text{.}\) Montrer que \(\vec y \neq \vec 0\text{.}\)
On a, pour tout \(i=1,...,d\text{,}\)
donc
donc \(\|\vec y\|_1=1\neq 0\text{.}\) Puisque \(\|.\|_1\) est une norme, ceci implique que \(\vec y\neq \vec 0\text{.}\)
(h)
Montrer que \(|N(\vec y_{\sigma(n)})-N(\vec y)| \xrightarrow[n\rightarrow\infty]{}0\text{.}\)
On pourra penser à l'inégalité triangulaire inversée pour la norme \(N\text{,}\) et au fait qu'on a montré, il y a fort longtemps, que pour tout \(\vec x \in \mathbb R^d\text{,}\) \(N(\vec x) \leq a \|\vec x\|_1\text{.}\)
On a, par l'inégalité triangulaire inversée (Théorème 1.1.5,(i))
Or, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\)
Donc \(N(\vec y_{\sigma(n)})\xrightarrow[n\rightarrow\infty]{}N(\vec y)\text{.}\)
(i)
En déduire que \(\vec y = \vec 0\text{.}\)
L'autre propriété que vérifie \(\vec y_n\text{,}\) c'est que pour tout \(n\in\N^*\text{,}\)
Or on a montré que \(N(\vec y_{\sigma(n)})\xrightarrow[n\rightarrow\infty]{}N(\vec y)\text{,}\) donc, par passage à la limite,
Puisque \(N\) est une norme, ceci implique que \(\vec y = \vec 0\text{.}\)
(j)
Conclure que \(N\) et \(\|.\|_1\) sont équivalentes.(k)
Soient \(N_1, N_2\) deux normes sur \(\mathbb R^d\text{.}\) Montrer qu'elles sont équivalentes.On a montré que, dans ce cas, \(N_1\) est équivalente ) \(\|.\|_1\text{:}\) il existe \(a_1,b_1\gt 0\) tels que
et on a, de même, \(a_2,b_2\gt 0\) tels que
Du coup, pour tout \(\vec x\in\R^d\text{,}\)
Donc \(N_1\) et \(N_2\) sont équivalentes.
(C'est la transitivité de l'équivalence de normes qu'on a déjà mentionné à la Remarque 3.2.)
L'équivalence de normes peut aussi s'interpréter géométriquement, à travers la notion de boule associée à différentes normes.
Projet 3.3. Normes équivalentes et inclusions de boules.
Soit \(E\) un espace vectoriel, et \(N_1,N_2\) deux normes sur \(E\text{.}\) Pour tout \(\vec a\in E\) et \(r\gt 0\text{,}\) on notera respectivement
les boules fermées associées à chacune des deux normes.
(a)
Montrer que, s'il existe \(\alpha \gt 0\) tel que, pour tout \(\vec x \in E, N_1(\vec x)\leq \alpha N_2(\vec x)\text{,}\) alors pour tout \(\vec a\in E\text{,}\) pour tout \(r \gt 0\) il existe \(\rho>0\) tel que
(b)
En déduire que, si \(N_1\) et \(N_2\) sont équivalentes, alors, pour tous \(\vec a \in E, r\gt 0\text{,}\) il existe \(\rho_1,\rho_2 \gt 0\) tels que
(c)
Réciproquement, supposons que pour tous \(\vec a \in E, r\gt 0\text{,}\) il existe \(\rho>0\) tel que \(B_2^f(\vec a,r)\subset B_1^f(\rho).\) Montrer qu'alors, il existe \(\alpha \gt 0\) tel que, pour tout \(\vec x \in E, N_1(\vec x)\leq \alpha N_2(\vec x)\text{.}\)
Soit \(\vec x\in E\setminus \{\vec 0\}\text{.}\) Alors \(\vec y = \frac{r\vec x}{N_2(\vec x)}\in B_2^f(\vec 0,r).\)
(d)
En déduire que si pour tous \(\vec a \in E, r\gt 0\text{,}\) il existe \(\rho_1,\rho_2 \gt 0\) tels que
alors \(N_1\) et \(N_2\)sont équivalentes.
Voici ce que ça donne pour les normes usuelles sur \(\mathbb R^2\text{:}\)
Et pour les normes \(\|.\|_p\) dont on a parlé plus haut,

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