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Section 4.6 Une autre (?) application: Probabilité sur \(\{P,F\}^{\N^*}\)

Revenons aux racines des probabilités: le jeu de pile-ou-face.

Supposons qu'on s'ennuie vraiment beaucoup dans un endroit sans accès à internet, et on joue donc à un jeu de pile ou face infini 1 

, avec une pièce qui a une certaine probabilité \(p\) de tomber sur "Pile".

Une réalisation du hasard \(\omega\text{,}\) dans ce cas, c'est donc suite du type

\begin{equation*} PFFPFPFPFPPFPFPFP... \end{equation*}

ou, si on associe 1 à "Pile" et 0 à "Face" 2 , \(\omega\) est une suite d'éléments de \(\{0,1\}.\) L'univers des possibles est donc

\begin{equation*} \Omega=\{0,1\}^{\N^*} = \{\omega=(\omega_n)_n, \forall n\in \N,\omega_n=0 \text{ ou }1\} \end{equation*}

On pourrait croire que le jeu de pile-ou-face ne fait appel qu'à des probabilités discrètes: après tout, chaque tirage suit une loi de Bernouilli \(\mathscr B(p)\) toute bête, et on peut passer d'un tirage au suivant, ce qui est la marque de fabrique de la dénombrabilité.

Mais ce n'est en fait pas le cas ! L'ensemble \(\{0,1\}^{\N^*}\) est un produit dénombrable d'ensembles qui ont au moins deux éléments, donc d'après le Exercice 1.2.9, il n'est en fait pas dénombrable.

C'est fort dommage, car sinon, on aurait pu attribuer une probabilité élémentaire \(p_\omega\) à chaque élément de \(\Omega\text{,}\) et obtenir une mesure de probabilités sur \(\Omega\) en posant:

\begin{equation*} \Proba(A)=\sum_{\omega\in A} p_\omega \end{equation*}

autrement dit,

\begin{equation*} \P=\sum_{\omega\in \Omega} p_\omega \delta_\omega \end{equation*}

Mais, puisque \(\Omega\) n'a pas la courtoisie d'être aussi dénombrable qu'il en a l'air, il va falloir nous montrer plus créatifs. On cherche donc une tribu \(\T\) sur \(\Omega\) et une mesure de probabilité \(\Proba:\T\rightarrow \rbb 0,1\lbb\) qui nous permette de modéliser la situation.

Suivant une approche qui ne nous a pas trahi jusqu'ici, on va lister les propriétés qu'on attend de \(\T\) et \(\P\text{.}\)

  • On s'attend à ce que tous les tirages possibles soient équiprobables : pour tous \(\omega_1,\omega_2\in\Omega,\text{,}\) \(\Proba(\{\omega_1\})=\Proba(\{\omega_2\})\text{.}\)

  • On devrait pouvoir attribuer une probabilité à l'ensemble des parties qui commencent par "Pile", ou encore à l'ensemble des parties dont le 3ème tirage est "Face" et le 129ème est "Pile".

    Autrement dit, on souhaite que, si on choisit un \(m\)-uplet \(i_1\lt...\lt i_m\) de numéros de tirages dont on connaît les valeurs \(V=(v_1,\ldots,v_m)\in\{0,1\}^m\text{,}\) l'ensemble

    \begin{equation*} C_V=\{\omega\in\Omega,\omega_{i_1}=v_1,\ldots,\omega_{i_m}=v_m\} \end{equation*}

    appartienne à \(\T\text{.}\) On appelle ce type de sous-ensemble les cylindres élémentaires.

  • Dans ce cas, il semblerait raisonnable que la probabilité associée à "le premier tirage est un pile" soit \(p\text{,}\) et que la probabilité de "le 3ème tirage est "Face" et le 129ème est "Pile"" soit \(p(1-p)\text{.}\) Et plus généralement,

    \begin{equation*} \Proba(C_V)=p^{Pile(V)}(1-p)^{Face(V)} \end{equation*}

    \begin{align*} Pile(V)\amp=\Card(\{k\in\{1,\ldots, m\},v_k=1\})=\sum_{k=1}^mv_k\\ Face(V)\amp=\Card(\{k\in\{1,\ldots, m\},v_k=0\})= m-Pile(V) \end{align*}
  • Enfin, si on pose, pour chaque \(n\in\N^*\)

    \begin{equation*} X_n:\omega \in \Omega \mapsto \omega_n\in\{0,1\} \end{equation*}

    on s'attend à ce que les \((X_n)_{n\in\N}\) soient des variables aléatoires indépendantes, suivant une loi de Bernoulli de paramètre \(p\text{.}\)

On va trouver la probabilité \(\Proba\) sur \(\Omega\) en appliquant la construction de Constantin.

Pour cela, il nous faudrait une prémesure définie sur une algèbre de sous-ensembles de \(\Omega\text{.}\)

On a une idée de ce qu'on veut obtenir pour les cylindres élémentaires, mais malheureusement, ils ne forment pas une algèbre:

Trouver deux cylindres élémentaires dont l'union n'est pas un cylindre élémentaire.

En déduire que l'ensemble des cylindres élémentaires n'est pas une algèbre.

Spoiler.

Posons \(C_1=\{\omega \in \Omega, \omega_1=1,\omega_2=0\}, C_2=\{\omega \in \Omega, \omega_1=0,\omega_2=1\}\text{.}\)

Ce sont des cylindres élémentaires: \(C_1=C_{V_1}\) avec \(V_1=(1,0)\in \{0,1\}^2\text{,}\) \(C_2=C_{V_2}\) avec \(V_2=(0,1)\in \{0,1\}^2\text{.}\)

Mais leur union donne

\begin{align*} C_1\cup C_2 \amp=\{\omega \in \Omega, \omega_1=1,\omega_2=0 \text{ ou } \omega_1=0,\omega_2=1 \}\\ \amp=\{\omega \in \Omega, (\omega_1,\omega_2)=(1,0) \text{ ou } (0,1) \} \end{align*}

\(\leadsto\) On ne peut pas trouver un unique \(v\in\{(0,1)\}^m\) tel que \(\omega \in C_1\cup C_2\) ssi \((\omega_{i_1},\ldots,\omega_{i_m})=v\text{.}\)

En effet, si \(i_1=1\text{,}\) alors on devrait avoir \(\omega_1=v_1\) pour tout \(\omega\in C_1\cup C_2\text{,}\) mais ce n'est pas le cas.

De même, si \(i_1=2\text{,}\) alors on devrait avoir \(\omega_2=v_2\) pour tout \(\omega\in C_1\cup C_2\text{,}\) et ce n'est pas vrai non plus.

Enfin, si \(i_1\gt 2\text{,}\) alors il n'y a aucune condition sur \((\omega_1,\omega_2)\text{,}\) et on devrait donc avoir des éléments de \(C_1\cup C_2\) tels que \((\omega_1,\omega_2)=(0,0)\) ou \((1,1)\text{,}\) et ce n'est pas vrai non plus.

Si l'ensemble \(\mathscr E\) des cylindres élémentaires était une algèbre , alors \(\mathscr E\) serait stable par union finie, et ce n'est manifestement pas le cas.

On va régler ce problème en ajoutant toutes les unions finies de cylindrs élémentaires:

Exercice 4.6.1. Cylindres sophistiqués.

(a)

On considère les cylindres élémentaires

\begin{equation*} C_1=\{\omega \in \Omega, \omega_1=1,\omega_2=0\}, C_2=\{\omega \in \Omega, \omega_1=0,\omega_2=1\} \end{equation*}

Déterminer un entier \(r\) et un sous-ensemble \(H\in\{0,1\}^r\) tels que

\begin{equation*} C_1\cup C_2 = \{\omega\in \Omega,(\omega_1,\ldots,\omega_r)\in H \} \end{equation*}
Spoiler.

On a

\begin{align*} C_1\cup C_2 \amp=\{\omega \in \Omega, \omega_1=1,\omega_2=0 \text{ ou } \omega_1=0,\omega_2=1 \}\\ \amp=\{\omega \in \Omega, (\omega_1,\omega_2)=(1,0) \text{ ou } (0,1) \}\\ \amp=\{\omega \in \Omega, (\omega_1,\omega_2)\in\{(1,0), (0,1)\} \} \end{align*}

donc on peut prendre \(r=2\) et \(H=\{(1,0), (0,1)\}\in\{(0,1)\}^2\text{.}\)

(b)

Généraliser: monter que si \(C_{V_1},C_{V_2}\) sont deux cylindres élémentaires, alors il existe un entier \(r\) et un sous-ensemble \(H\in\{0,1\}^r\) tels que

\begin{equation*} C_{V_1}\cup C_{V_2} = \{\omega\in \Omega,(\omega_1,\ldots,\omega_r)\in H \} \end{equation*}

(c)

On appelle cylindres les sous-ensembles de \(\Omega\) de la forme

\begin{equation*} C_H=\{\omega\in \Omega,(\omega_1,\ldots,\omega_r)\in H \} \end{equation*}

avec \(H\in\{0,1\}^r\text{,}\) pour un certain entier \(r\text{.}\)

Montrer que tout cylindre est une union finie de cylindres élémentaires.

(d)

On va maintenant montrer que l'ensemble \(\mathfrak C\) des cylindres est une algèbre.

Montrer que l'univers est un cylindre. (\(\Omega\text{,}\) je veux dire, bien sûr, mais cette phrase était irrésistible).

(e)

Montrer que le complémentaire d'un cylindre est un cylindre.

(f)

Montrer, au mépris de toute intuition géométrique, qu'une union de deux cylindres est un cylindre, et en déduire que \(\mathfrak C\) est stable par union finie.

On pose \(\T=\sigma(\mathfrak C)\text{,}\) et on va utiliser le théorème de Carathéodory pour extrapoler une pré-mesure des éléments de \(\mathfrak C\) à une probabilité sur la tribu \(\T\text{.}\)

La tribu \(\T\) est construite à partir d'évènements très simples, mais en fait, elle est assez riche pour nous permettre d'étudier tous les phénomènes intéressants. Pour s'en convaincre, montrer que les évènements suivants sont des éléments de \(\T\text{:}\)

  • "Pile sort pour la première fois au 5ème tirage"

  • "Pile ne sort pas avant le 5ème tirage"

  • "Sur les 10356 premiers lancers, il n'y a jamais eu deux piles de suite"

Spoiler.

En attribuant toujours 1 à Pile et 0 à face, on peut décrire le jeux en termes de suites de \(\Omega\text{.}\) Donc

  • \(E_1\text{:}\)"Pile sort pour la première fois au 5ème tirage" se produit si les 4 premiers tirages donnent Face et le 5ème donne Pile, ce qui correspond aux suites \(\omega\in \{0,1\}^{\N^*}\) telles que

    \begin{equation*} \omega_1=\omega_2=\omega_3=\omega_4=0,\ \omega_5=1 \end{equation*}

    donc

    \begin{equation*} E_1 =\{\omega\in\Omega, (\omega_1,\omega_2,\omega_3,\omega_4,\omega_5)\in\{(0,0,0,0,1)\}\}\} \end{equation*}

    \(\leadsto\) C'est le cylindre associé au singleton \(H_1=\{(0,0,0,0,1)\}\in\{0,1\}^5\text{,}\) donc \(\boxed{E_1\in\T}\text{.}\)

  • \(E_2\text{:}\)"Pile ne sort pas avant le 5ème tirage" se produit si les 4 premiers tirages donnent Face (mais le 5ème ne donne pas forcément Pile). Ce qui nous donneles suites \(\omega\in \{0,1\}^{\N^*}\) telles que

    \begin{equation*} \omega_1=\omega_2=\omega_3=\omega_4=0 \end{equation*}

    donc

    \begin{equation*} E_2 =\{\omega\in\Omega, (\omega_1,\omega_2,\omega_3,\omega_4)\in\{(0,0,0,0)\}\}\} \end{equation*}

    \(\leadsto\) C'est le cylindre associé au singleton \(H_2=\{(0,0,0,0)\}\in\{0,1\}^4\text{,}\) donc \(\boxed{E_2\in\T}\text{.}\)

  • \(E_3\text{:}\)"Sur les 10356 premiers lancers, il n'y a jamais eu deux piles de suite" se produit si, pour tout \(k\leq 10355\text{,}\) si le \(k\)-ième tirage donne Pile, alors le (k+1) doit donner Face. Autrement dit,

    \begin{equation*} \forall k\in \{1,\ldots,10355\},\ \omega_k=1 \Rightarrow \omega_{k+1}=0 \end{equation*}

    Pour décrire ceci en termes de cylindres, l'implication ne nous arrange pas. Pour étudier ça, on considère le complémentaire de \(E_3\text{:}\)

    \begin{align*} \Omega\setminus E_3\amp =\{\omega\in\Omega,non(\forall k\in \{1,\ldots,10355\},\ \omega_k=1 \Rightarrow \omega_{k+1}=0) \}\\ \amp =\{\omega\in\Omega,\exists k\in \{1,\ldots,10355\},\ \omega_k=1 \text{ et } \omega_{k+1}=1 \}\\ \amp =\bigcup_{k=1}^{10355} \{\omega\in\Omega, \omega_k=1 \text{ et } \omega_{k+1}=1 \} \end{align*}

    Du coup, si on note, pour tout \(k\in \{1,\ldots,10355\}\text{,}\) \(B_k=\{0,1\}^{k-1}\times\{1\}\times\{1\}\text{,}\) alors

    \begin{equation*} \{\omega\in\Omega, \omega_k=1 \text{ et } \omega_{k+1}=1 \} = \{\omega\in\Omega, (\omega_1,...,\omega_k,\omega_{k+1})\in B_k \} \end{equation*}

    \(\leadsto\) C'est le cylindre \(C_{B_k}\) associé à \(B_k\subset \{0,1\}^{k+1}\text{.}\)

    Donc \(\Omega\setminus E_3\) est une union finie de cylindres, donc \(\Omega\setminus E_3\in \T\text{.}\) Et puisque les tribus sont stables par passage au complémentaire, on a aussi \(\boxed{E_3\in\T}\text{.}\)

Il nous faut donc une prémesure sur \(\mathfrak C\text{.}\) On sait déjà quoi faire des cylindres élémentaires: pour \(V=(v_1,\ldots,v_m)\in\{0,1\}^m\text{,}\) on a noté

\begin{equation*} C_V=\{\omega\in\Omega,\omega_{i_1}=v_1,\ldots,\omega_{i_m}=v_m\} \end{equation*}

et on souhaiterait que

\begin{equation*} \Proba(C_V)=p^{\sum_{k=1}^m v_k}(1-p)^{m-\sum_{k=1}^m v_k} \end{equation*}

Remarquons que ce nombre dépend en fait uniquement de \(V\text{,}\) et pas des indices où les valeurs sont atteintes. On va donc le noter \(p_v\text{.}\)

Généralisons ça aux cylindres non-élémentaires: soit donc \(C\in \mathfrak C\text{,}\) alors il existe \(r\in\N^*\) et \(E_r\subset \{0,1\}^r\) tels que

\begin{equation*} C=C_{E_r} = \{\omega \in\Omega, (\omega_1,\ldots,\omega_r)\in E_r\} \end{equation*}

Comme \(E_r\) est un ensemble fini, on peut poser sans arrière-pensée

\begin{equation*} \Proba_0(C_{E_r}) = \sum_{v\in E_r} p_v \end{equation*}

Mais il faut alors vérifier que, si deux ensembles \(E_r\subset \{0,1\}^r\) et \(F_p\subset \{0,1\}^p\) décrivent le même cylindre \(C\text{,}\) on obtient le même nombre avec les deux:

Montrer que, si \(C_{E_r}=C_{F_p}\) avec \(p\leq r\text{,}\) alors \(E_r=F_p \times \{0,1\}^{r-p}\text{.}\)

En déduire que

\begin{equation*} \sum_{v\in E_r} p_v = \sum_{w\in F_p} p_w \end{equation*}

et conclure que \(\Proba_0\) est bien définie.

Pour convaincre Constantin de nous aider, il nous reste à vérifier que \(\Proba_0: \mathfrak C \rightarrow \rbb 0,+\infty \lbb\) est une prémesure sur l'algèbre \(\mathfrak C\text{:}\)

  1. \(\displaystyle \Proba_0(\emptyset)=0;\)

  2. Pour tous \(A,B\in \mathcal A\) disjoints, \(\Proba_0(A\cup B)=\Proba_0(A)+\Proba_0(B)\text{.}\)

  3. Pour toute suite \((A_n)_n \in \mathcal A^\N\) décroissante, et qui de plus vérifie

    \begin{equation*} \Proba_0(A_0)\lt \infty \text{ et } \bigcap_{n\in\N}A_n=\emptyset, \end{equation*}

    on a

    \begin{equation*} \lim_{n\rightarrow\infty} \Proba_0(A_n)=0 \end{equation*}

Remarque 4.6.4.

On devrait de plus trouver une suite \((E_n)_n \in \mathcal A^\N\) croissante, telle que

\begin{equation*} \Proba_0(E_n)\lt \infty \text{ pour tout } n\in\N \end{equation*}
\begin{equation*} \bigcup_{n\in\N}E_n=\Omega, \end{equation*}

et, pour tout \(A\in\mathcal A\text{,}\)

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow\infty} \Proba_0(A\cap E_n)=\Proba_0(A) \end{equation*}

Mais, on avait constaté au début de la preuve du théorème de Carathéodory, ce point est automatiquement vérifié si la prémesure \(\Proba_0\) est finie.

\(\leadsto\) On va commencer par vérifier que c'est bien le cas ici 3 .

... Y a plus qu'à.

Exercice 4.6.2. Points (i), (ii) et (iv).

(a)

Justifier que \(\Proba_0(\Omega)= 1\text{.}\) En déduire que le point (iv) est vérifié.

Indice.

Comme on a vu un peu plus haut, \(\Omega\) est un cylindre:

\begin{equation*} \Omega= C_H \text{ avec } H=\{0,1\}\in \{0,1\}^1 \end{equation*}
Spoiler.

(b)

Additivité: Soient \(C_1,C_2\in\mathfrak C\text{,}\) tels que \(C_1 \cap C_2=\emptyset\text{.}\) Montrer que

\begin{equation*} \Proba_0(C_1\cup C_2)=\Proba_0(C_1)+\Proba_0(C_2) \end{equation*}

Ce qui nous donnera le point (ii).

Indice.

Puisque \(C_1,C_2\) sont deux cylindres, il doit exister deux ensembles \(H_p\subset \{0,1\}^p\) et \(F_q\subset \{0,1\}^q\) tels que

\begin{equation*} C_1=C_{H_p},\ C_2=C_{F_q} \end{equation*}

Jusitifer, en utilisant le même raisonnement qu'à l'Petit Exercice 4.6.3, qu'on peut supposer que \(p=q\text{,}\) et montrer que

\begin{equation*} H_p \cap F_q = \emptyset \end{equation*}
Spoiler.

(c)

Déduire des deux premières questions que \(\Proba_0(\emptyset)=0\text{.}\)

(Ce qui nous donne le point (i))

Exercice 4.6.3. Plat de résistance: le point \((iii)\).

Il s'agit de montrer que, si \((C_n)_n\in\mathfrak{C}^\N\) est une suite telle que

  • \(\Proba_0(C_0)\lt \infty\text{,}\)

  • Pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(C_{n+1} \subset C_n\text{,}\)

  • \(\displaystyle \bigcap_{n\in\N}C_n=\emptyset,\)

on a

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow\infty} \Proba_0(C_n)=0 \end{equation*}

On va en fait montrer encore mieux: toute suite décroissante de cylindres telle que \(\bigcap_{n\in\N}C_n=\emptyset\) est en fait constante égale à l'ensemble vide à partir d'un certain rang.

Autrement dit, par contraposée, toute suite décroissante de cylindres non vides a une intersection non vide.

Pour cela, on va trouver un élément dans \(\bigcap_{n\in\N}C_n\) par un procédé inspiré de l'argument diagonal de Cantor.

(a)

Montrer que toute suite \((C_n)_n\in\mathfrak{C}^\N\) vérifie

\begin{equation*} \Proba_0(C_0)\lt \infty \end{equation*}

donc cette hypothèse n'est pas, en l'occurrence, indispensable. 4 

(b)

Soit donc \((C_n)_n\in\mathfrak{C}^\N\) une suite décroissante de cylindres non vides. Autrement dit,

\begin{equation*} \forall\,n\in\N,\ C_n\neq\emptyset \text{ et } C_{n+1}\subset C_n \end{equation*}

Pour chaque \(k\in\N\text{,}\) sélectionnons un élément \(\omega^{(k)} \in C_k\text{.}\) Alors, chaque \(\omega^{(k)}\) est une suite de 0 et de 1:

\begin{equation*} \begin{array}{ccccccc} \omega^{(1)}\amp=\amp\omega^{(1)}_1\amp\omega^{(1)}_2\amp\omega^{(1)}_3\amp...\amp...\\ \omega^{(2)}\amp=\amp\omega^{(2)}_1\amp\omega^{(2)}_2\amp\omega^{(2)}_3\amp...\amp...\\ \amp\vdots\amp\\ \omega^{(513)}\amp=\amp\omega^{(513)}_1\amp\omega^{(513)}_2\amp\omega^{(513)}_3\amp...\amp...\\ \amp\vdots\amp \end{array} \end{equation*}

Regardons ce tableau, non pas en lignes, mais en colonnes: la suite \((\omega_1^{(k)})_{k\in \N^*}\) formée du premier terme de chaque \(\omega^{(k)}\) est, elle aussi, une suite de \(\{0,1\}^{\N^*}\text{,}\) \((\omega_2^{(k)})_{k\in \N^*}\) également, etc.

\(\leadsto\) Montrer qu'il existe une application \(\varphi_1:\N\rightarrow\N\) strictement croissante telle que \((\omega_1^{(\varphi_1(k))})_{k\in \N^*}\) est constante.

On note \(R_1\in\{0,1\}\) cette valeur constante de \(\omega_1^{(\varphi_1(k))}\text{.}\)

Indice.

Commencer par montrer que, dans la suite \((\omega_1^{(k)})_{k\in \N^*}\text{,}\) soit 0 apparaît une infinité de fois, soit 1 apparaît une infinité de fois (ou les deux).

Il suffit ensuite de jeter les autres termes !

Spoiler.

(c)

Montrer, dans le même ordre d'idée, qu'il existe une application \(\varphi_2:\N\rightarrow\N\) strictement croissante telle que

\begin{equation*} (\omega_1^{(\varphi_1\circ\varphi_2)(k)})_{k\in \N^*} \text{ et } (\omega_2^{(\varphi_1\circ\varphi_2)(k)})_{k\in \N^*} \end{equation*}

sont toutes deux constantes.

On note \(R_2\) la valeur constante de \(\omega_2^{(\varphi_1\circ\varphi_2)(k)}\text{.}\)

Indice.

Appliquer le raisonnement de la question précédente à \((\omega_2^{\varphi_1(k)})_{k\in \N^*}\text{,}\) et à la fin, vérifier qu'on a toujours

\begin{equation*} \omega^{(\varphi_1\circ\varphi_2)(k)}_1=R_1 \end{equation*}

quel que soit \(k\text{.}\)

Spoiler.

(d)

Généralisons avec allégresse: montrer que, pour tout \(p\in\N\text{,}\) il existe

\begin{equation*} \psi_p:\N\rightarrow\N \end{equation*}

strictement croissante, telle que, pour tout \(i\leq p\text{,}\)

\begin{equation*} (\omega_i^{\psi_p(k)})_{k\in\N^*}) \end{equation*}

est une suite constante de \(\{0,1\}\text{.}\)

Pour chaque \(p\in\N\text{,}\) on note \(R_p\) la valeur constante de \(\omega_p^{\psi_p(k)}\text{.}\)

Indice.

Jusqu'ici, on peut prendre \(\psi_1=\varphi_1\) et \(\psi_2=\varphi_1\circ\varphi_2\text{.}\)

En recyclant le raisonnement de la question précédente, avec des notations un peu plus lourdes, montrer par récurrence le résultat qu'on vaut.

Spoiler.

(e)

Posons \(\omega^*\in \{0,1\}^{\N^*}\) la suite donnée par \(\omega^*_n=R_n\) pour tout \(n\in\N^*\text{.}\)

On va montrer que \(\omega^*\in \bigcap_{n\in\N^*} C_n\text{.}\)

Soit donc \(n\in\N^*\) un entier quelconque, on doit vérifier que \(\omega^*\in C_{n}\text{.}\)

Puisque \(C_n\) est un cylindre, il existe \(r_n\in\N^*\) et \(H_n\in\{0,1\}^{r_n}\) tels que

\begin{equation*} C_n=\{\omega\in\Omega,\, (\omega_1,...,\omega_{r_n})\in H_n\} \end{equation*}

On note \(M_n=\max(n,r_n)\) et \(N_n= \psi_{M_n}(M_n)\text{.}\) Justifier que \(C_{N_n} \subset C_{n}\text{.}\)

Indice.

Puisque la suite \((C_n)_n\) est décroissante, il suffit de montrer que, comme les notations le suggèrent subtilement, \(N_n\geq n\text{.}\)

Or, \(\psi_{M_n}:\N^*\rightarrow \N^*\) est une application strictement croissante: en déduire que, pour tout \(k\in\N^*\text{,}\) \(\psi_{M_n}(k)\geq k\text{.}\)

Spoiler.

(f)

Montrer que

\begin{equation*} (R_1,R_2,\ldots,R_{r_n})\in H_{n} \end{equation*}
Indice.

On a obtenu que, pour tout \(p\in\N^*\text{,}\) pour tout \(i\leq p\text{,}\) pour tout \(k\in \N^*\text{,}\) \(\omega_i^{\psi_p(k)}=R_i\text{.}\)

Qu'obtient-on pour \(p=k=M_n\) ?

C'est aussi un bon moment pour se souvenir que \((\omega_i^j)_i\in C_j\text{,}\) quel que soit \(j\text{.}\)

Spoiler.

(g)

Conclure que \(\omega^*\in \bigcap_{n\in \N} C_n\text{.}\)

(h)

En déduire, enfin, le point (iii) de notre liste de courses.

On est donc bien dans le cadre d'application du théorème de Carathéodory: il existe donc une unique mesure de probabilité

\begin{equation*} \Proba: \T=\sigma(\mathfrak C) \rightarrow \rbb 0,1\lbb \end{equation*}

telle que, pour tout cylindre \(C\in\mathfrak C\text{,}\)\(\Proba(C)=\Proba_0(C)\text{.}\)

Avec ce choix de mesure, la probabilité de tout tirage spécifique est nulle:

Exercice 4.6.4.

(a)

Trouver une suite décroissante de cylindres élémentaires \(C_n\) telle que \(\{\omega\}\in C_n\text{,}\) pour tout \(n\in\N\text{,}\) et

\begin{equation*} \Proba(C_n)\leq \max(p,1-p)^n \end{equation*}

(b)

En déduire que \(\{\omega\} \in \T\) et que \(\Proba_0(\{\omega\})=0\text{.}\)

(c)

Montrer que, si \(D\subset \Omega\) est dénombrable, alors \(D\in \T\) et \(\Proba(D)=0\text{.}\)

Exercice Pile-ou-face et mesure de Borel

On suppose ici que la probabilité de tirer "Pile" est \(\frac12\)

Dans ce cas, cette nouvelle probabilité \(\Proba\) est étroitement liée à la mesure de Borel sur \(\R\text{,}\) qu'on a construite par un procédé similaire.

Ce qui permet de faire le pont entre ces deux univers, c'est l'application qui, à un réel \(x\in \rbb 0,1\rbb\text{,}\) associe son développement en base 2. 5 .

On définit donc l'application

\begin{equation*} \Phi: \omega=(\omega_n)_n\in \{0,1\}^{\N^*} \mapsto \sum_{n\geq 1} \frac{\omega_n}{2^n} \end{equation*}

1.

Montrer que, si \(\Phi((\omega_n)_n=\Phi((\tilde \omega_n)_n)\) avec \((\omega_n)_n,(\tilde \omega_n)_n\in \{0,1\}^{\N^*}\) deux suites différentes, alors l'une des deux suites constante égale à 1 à partir d'un certain rang.

Indice.

On va lourdement s'inspirer de l'Exercice 1.2.9: on pose \(r=\min\{n\in\N,\omga_n\neq \tilde \omega_n\}\) et on suppose que \(\omega_r = 1, \tilde\omega_r=0\text{.}\)

Montrer que

\begin{equation*} \omega_r - \tilde \omega_r = \sum_{k\geq 1}\frac{\tilde \omega_k-\omega_k}{2^k} \end{equation*}

et que cette dernière égalité n'est possible que si, pour tout \(n\gt r\text{,}\) \(\tilde \omega_n=1,\omega_n=0\text{.}\)

Spoiler.

2.

On note \(N\subset \Omega\) l'ensemble des suites constantes égales à 1 à partir d'un certain rang.

Montrer que \(N\in \T\) et que \(\Proba(N)=0\text{.}\)

Indice.

Montrer que \(N\) est dénombrable et utiliser la conclusion de l'Exercice 4.6.4.

Spoiler.

3.

On note \(\Omega'=\Omega\setminus N\text{.}\) Montrer que \(\Phi_{|\Omega'}:\Omega'\rightarrow \rbb 0,1 \rbb\) est une bijection.

Indice.

Pour \(x\in \rbb 0,1 \rbb\text{,}\) considérer la suite \(\omega_n\) définie par

\begin{equation*} \omega_n=E(2^n x)-2E(2^{n-1}x) \end{equation*}
Spoiler.

\(\leadsto\) \(\Phi_{|\Omega'}:\Omega'\rightarrow \rbb 0,1 \rbb\) est une bijection, et la bijection réciproque est

\begin{equation*} x\in \rbb 0,1 \rbb \mapsto (E(2^n x)-2E(2^{n-1}x))_n\in\Omega' \end{equation*}

4.

On va voir que cette bijection relie non seulement les points de \(\{0,1\}^{\N^*}\) à ceux de \(\rbb 0,1 \rbb\text{,}\) mais aussi les mesures \(\Proba\) sur \(\{0,1\}^{\N^*}\) et \(\mu_1\) sur \(\rbb 0,1 \rbb\text{.}\)

Plus précisément, on va voir que la tribu image réciproque de \(\B(\rbb 0,1 \rbb)\) par \(\Phi_{|\Omega'}\) est égale à la tribu trace \(\T_{\Omega'}=\{T\cap \Omega', T\in \T\}\text{,}\) et que, pour tout borélien \(B\in \B(\rbb 0,1 \rbb)\text{,}\) on a

\begin{equation*} \mu_1(B)=\Proba(\Phi^{-1}(B)\cap \Omega') \end{equation*}

Commençons par quelques cylindres simples: on note

\begin{gather*} C_1 = \{\omega \in \{0,1\}^{\N^*},\omega_1=0\},\ C_2 = \{\omega \in \{0,1\}^{\N^*},\omega_1=0,\omega_2=1\},\ C_2 = \{\omega \in \{0,1\}^{\N^*},\omega_2=1\} \end{gather*}

Déterminer \(\Phi(C_1\cap \Omega'),\ \Phi(C_2\cap \Omega'),\ \Phi(C_3\cap \Omega')\text{.}\)

5.

Montrer que, pour tout \(n\in\N^*\text{,}\) pour tout \(v=(v_1,\ldots,v_n)\in\{0,1\}^n\text{,}\) si on note, pour tout \(k\in \N^*\text{,}\)

\begin{equation*} C_v=\{\omega \in \Omega',(\omega_1,...,\omega_n)=v\} \end{equation*}

alors que \(\Phi(C_v)\) est inclus dans un intervalle du type \(\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\,\text{.}\)

6.

Montrer que, pour tout \(p\in\N,k=0,\ldots, 2^p-1\text{,}\) il existe \(v\in\{0,1\}^p\) tel que

\begin{equation*} \Phi_{|\Omega'}^{-1}\left(\,\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\,\right)=C_v. \end{equation*}

En déduire que, pour tout cylindre \(C\in\mathfrak C\text{,}\) il existe un borélien \(B\) tel que \(\Phi_{|\Omega'}^{-1}(B)=C\cap \Omega'\text{.}\)

7.

Les intervalles de la forme

\begin{equation*} \,\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\,n\in\N,k=0,\ldots, 2^n-1 \end{equation*}

sont appelés intervalles dyadiques 6 .

On va montrer que tout intervalle \(\rbb a,b \rbb\subset \rbb 0,1 \rbb\) est une union dénombrable d'intervalles dyadiques.

Montrer qu'il existe \(n_0\in \N^*,k_0\in\{0,...,2^{n_0}-1\}\) tels que

  • \(\displaystyle \frac1{2^{n_0}} \lt b-a \leq \frac1{2^{n_0-1}}\)

  • \(\frac{k_0}{2^{n_0}}\in \lbb a,b \rbb\text{.}\)

8.

De là, construire une suite décroissante \((u_n)_n\) et une suite croissante \((v_n)_n\) telles que

  • Pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(u_n=\frac{p_n}{2^{n_0+n}}\) et \(v_n=\frac{q_n}{2^{n_0+n}}\) avec \(p_n,q_n\in \{0,...,2^{n_0+n}-1\}\)

  • \((u_n)\) converge vers \(a\text{,}\) \((v_n)_n\) converge vers \(b\text{.}\)

  • Pour tout \(n\in\N^*\text{,}\) \(\rbb u_{n+1},u_n\rbb\) et \(\rbb v_n,v_{n+1}\rbb\) sont des intervalles dyadiques.

Indice.
Spoiler.

Expliquons la construction de \((u_n)_n\) : la suite \((v_n)_n\) se construit de la même façon, à peu près.

9.

En déduire que

\begin{equation*} \B(\R)=\sigma(\mathscr D) \end{equation*}

\(\mathscr D\) est la famille des intervalles dyadiques:

\begin{equation*} \mathscr D = \left\{\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\,n\in\N,k=0,\ldots, 2^n-1\right\}, \end{equation*}

10.

De là, montrer que la tribu image réciproque \(\Phi_{|\Omega'}^{-1}(\B(\R))\) de \(\B(\R)\) par \(\Phi\) est égale à la tribu-trace\(\T_{\Omega'}\text{:}\)

\begin{equation*} \T_{\Omega'}=\Phi_{|\Omega'}^{-1}(\B(\R)) \end{equation*}
Indice.

On pourrait utiliser le [cross-reference to target(s) "prop_lemme-transport" missing or not unique] pour dryader des cylindes.

Spoiler.

11.

Montrer que, pour tout \(n\in\N,k\in\{0,\ldots, 2^n-1\}\text{,}\) on a

\begin{equation*} \Proba\left(\Phi_{\Omega'}^{-1}\left(\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\right)\right) = \mu_1\left(\left[\,\dfrac{k}{2^p},\dfrac{k+1}{2^p}\,\right[\,\right) \end{equation*}

En déduire que, pour tout borélien \(B\text{,}\)

\begin{equation*} \Proba((\Phi_{\Omega'}^{-1}(B))=\mu_1(B). \end{equation*}

Autrement dit, la mesure-image de \(\Proba\) par \(\Phi_{\Omega'}\) est égale à la mesure de Borel \(\mu_1\) sur \(\rbb 0,1 \rbb\text{.}\)

Non, pas celui-là.

Pour que ça ressemble plus à des maths, et aussi parce que ça simplifie certains calculs: le nombre de "Pile" dans une séquence est du coup simplement la somme de cette séquence
Ce qui serait préférable, puisqu'on veut construire une probabilité sur \(\{0,1\}^{\N^*}\)
Ceci n'est absolument pas nécessaire pour notre raisonnement, mais pour voyager léger, autant supposer le moins de choses possibles.
On a déjà croisé une situation très similaire à l'Exercice 1.2.9

Et non "dryadiques".

Figure 4.6.5. La Dryade par Evelyn De Morgan