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Section 3.4 Qui sont les boréliens, vraiment ?

La tribu des boréliens de \(\R\) est définie comme la tribu de parties de \(\R\) engendrée par la famille \(\O_{\R}\) de tous les sous-ensembles ouverts de \(\R\text{.}\)

En fait, encore mieux: \(\B(\R)\) est engendré par la famille

\begin{equation*} \mathcal{IO}=\{\rbb a,b\lbb, a,b\in\R, a\lt b \} \end{equation*}

des intervalles ouverts bornés, puisque tout ouvert est union dénombrable de tels intervalles.

Par ailleurs, on sait qu'une tribu \(\T\) est stable par union dénombrable, intersection dénombrable, et passage au complémentaire, et c'est à peu près tout ce qu'on sait sur les tribus en général.

Une question légitime est donc: si \(B\) est un borélien de \(\R\text{,}\) est-ce qu'on peut écrire \(B\) comme une union d'intersection d'unions d'intersections...(etc.) dénombrable d'ouverts/fermés ?

Il se trouve que non, et c'est très pénible à montrer (toutes les sources que j'ai trouvées finissent par craquer et utiliser des obscénités telles que “récurrence transfinie”) donc on va ne pas le faire.

Mais on peut quand même essayer de formaliser un peu la question, et voir ce qui ne va pas.

Faisons ce qui semble intuitif: empiler les opérations du type union/intersection dénombrable. Ce qu'on peut rendre plus propre en introduisant ce qu'on appelle la hiérarchie de Borel. On pose

\begin{align*} \Sigma_{1}\amp =\O_{\R} \text{ (la famille des ouverts)}\\ \Pi_{1} \amp =\{A^{c},A\in\Sigma_{1}\} \text{ (la famille des complémentaires des ouverts, donc les fermés de \ensuremath{\R}) }\\ \Sigma_{2} \amp =\left\{ \bigcup_{k\in\N}A_{k},(A_{k})_{k}\in\Pi_{1}^{\N}\right\} \text{ (la famille des unions dénombrables de fermés)}\\ \Pi_{2}\amp =\{A^{c},A\in\Sigma_{2}\} \text{ (la famille des complémentaires de \ensuremath{\Sigma_{2},}donc les intersections dénombrables d'ouverts)}\\ \amp\vdots\\ \forall n\in\N^{*},\Sigma_{n+1}\amp =\left\{ \bigcup_{k\in\N}A_{k},(A_{k})_{k}\in\Pi_{n}^{\N}\right\} ,\\ \Pi_{n+1}\amp=\{A^{c},A\in\Sigma_{n+1}\} \end{align*}

En somme, les familles \(\Sigma_{n}\) et \(\Pi_{n}\) réunissent ce qu'on peut obtenir après \(n\) opérations “autorisées” à partir des ouverts/fermés de \(\R\text{.}\) Avec ces notations, on peut montrer que

  1. \(\forall n\in\N^{*},\Pi_{n}\subset\Sigma_{n+1}\) (ça, ça vient directement de la définition de \(\Sigma_{n+1}\))

  2. \(\forall n\in\N^{*},\Sigma_{n}\subset\Pi_{n+1} \) (ça se déduit du premier point)

  3. Par récurrence, on trouve que pour tout \(n\in\N^{*}\text{,}\) si \(U\in\O_{\R}\) et \(A\in\Sigma_{n}\text{,}\) alors \(U\cap A\in\Sigma_{n}\text{.}\)

  4. Beaucoup plus dur, même si on ne dirait pas:

    \begin{equation*} \forall n\in\N^{*},\Sigma_{n}\subset\Sigma_{n+1} \end{equation*}

    et cette inclusion est stricte.

Donc, notre intuition de départ, c'est que la famille

\begin{equation*} \Sigma_{\infty}=\bigcup_{n\in\N}\Sigma_{n} \end{equation*}

devrait contenir tous les boréliens.

Mais en fait, ce n'est pas le cas :

Exercice 3.4.1.

(a)

Justifier que, pour tout \(n\in\N\text{,}\) il existe \(X_{n}\subset \rbb n,n+1 \lbb\) tel que \(X_{n}\in\Sigma_{n+1}\) et \(X_{n}\notin\Sigma_{n}\)

(b)

On définit

\begin{equation*} Y=\bigcup_{n\in\N}X_{n} \end{equation*}

Montrer que c'est un borélien de \(\R\) qui n'appartient pas à \(\Sigma_{\infty}\text{.}\)

Spoiler.

Pour tout \(n\text{,}\) \(X_{n}\in\B(\R)\text{,}\) donc \(Y\) est aussi un borélien, puisque c'est une union dénombrable de boréliens.

Mais \(Y\notin\Sigma_{\infty}\text{.}\) En effet, si c'était le cas, il existerait \(n_{0}\in\N\) tel que \(Y\in\Sigma_{n_{0}}\text{.}\) Mais alors, d'après le point c. ci-dessus,

\begin{equation*} Y\cap\,\lbb \,n_{0},n_{0}+1\ \rbb \ \in\Sigma_{n_{0}} \end{equation*}

or,

\begin{equation*} Y\cap\,\lbb \,n_{0},n_{0}+1\ \rbb \ =X_{n_{0}} \end{equation*}

et on a justement supposé que \(X_{n_{0}}\) n'appartenait pas à \(\Sigma_{n_{0}}\text{:}\) contradiction.

(c)

Il y a donc des boréliens qu'on ne peut pas atteindre en un nombre fini d'étapes en faisant des unions et intersections dénombrables d'ouverts ou de fermés.

Méditer sur les boréliens et à quel point les sous-ensembles de \(\R\) peuvent être tordus.