Section 4.1 Définition et premiers exemples
Afin que notre théorie de la mesure donne un cadre flexible à l'intégration et aux probabilités, on va, pour le moment, se passer des propriétés spécifiques à \(\mathbb R\text{:}\) l'invariance par translation et la longueur des intervalles. On verra par la suite comment construire une mesure sur \(\mathbb R\) qui ait ces spécificités.
Définition 4.1.1.
Soit \((X,\mathscr T)\) un espace mesurable. On appelle mesure (positive) sur \((X,\mathscr T)\) toute application \(\mu: \mathscr T\rightarrow \rbb 0, \infty\lbb \) telle que
\(\displaystyle \mu(\emptyset)=0\)
-
(Additivité dénombrable) Pour toute famille dénombrable \((A_n)_n\) d'ensembles mesurables 2 à 2 disjoints, on a
\begin{equation*} \mu \left(\bigcup A_n\right) = \sum \mu(A_n) \end{equation*}
On dit que \((X,\mathscr T, \mu)\) est un espace mesuré.
Si \(\mu(X) \lt \infty\text{,}\) on dit que \(\mu\) est une mesure finie.
Si \(\mu(X)=1\text{,}\) on dit que \(\mu\) est une mesure de probabilités.
Exemple 4.1.2. Deux exemples stupides.
Mesure nulle sur \((X, \mathcal P(X))\text{:}\) pour tout \(A\subset X\text{,}\) \(\mu(A)=0\text{.}\)
-
Sur la tribu \(\mathscr T=\{A \in \mathcal P(X),\, A \text{ dénombrable ou } A^c \text{ dénombrable }\}\text{,}\)
\begin{equation*} \mu(A) = \begin{cases} 0 \text{ si est dénombrable}\\ 42 \text{ sinon.} \end{cases} \end{equation*}
Exemple 4.1.3. Contre-exemple:.
Malgré son nom, la mesure extérieure sur \((\mathbb R, \mathcal P(\mathbb R))\) ne définit pas une mesure sur \(\mathbb R\text{.}\)
Une classe de mesures un peu plus générale que les mesures finies s'avèrera intéressante par la suite:
Définition 4.1.4.
Soit \(\mu\) une mesure sur un ensemble mesurable \((X,\mathscr T)\text{.}\) On dit que \(\mu\) est \(\sigma\)-finie s'il existe une suite \((E_n)_n \in \mathscr T^\mathbb N\) d'ensembles mesurables, telle que
pour tout \(n\in \mathbb N\text{,}\) \(E_n\subset E_{n+1}\)
pour tout \(n\in \mathbb N\text{,}\) \(\mu(E_n)\lt \infty\)
\(X=\bigcup_n E_n\text{.}\)
Exemple 4.1.5.
On verra que la mesure de Borel, qui répond à notre problème d'intégration, est \(\sigma\)-finie.
Exemple 4.1.6. Contre-exemple.
La mesure de comptage \(\mu\) sur \(\mathbb R\) n'est pas \(\sigma\)-finie. En effet, si c'était le cas, il existerait une famille dénombrable \((E_n)_n\) de parties de \(\mathbb R\) telle que \(\mu(E_n)\lt \infty\text{,}\) autrement dit chaque \(E_n\) est un ensemble fini, et telle que \(\mathbb R= \bigcup_n E_n\text{.}\) Mais alors \(\mathbb R\) serait une union dénombrable d'ensembles finis, donc serait dénombrable, ce qui est absurde.
Quelques propriétés intuitives des mesures:
Proposition 4.1.7.
Soit \((X, \mathscr T, \mu)\) un espace mesuré.
(Monotonie): Soient \(A, B\in \mathscr T\) tels que \(A\subset B\text{.}\) Alors \(\mu(A)\leq \mu(B)\text{.}\)
(Différence): Soient \(A, B\in \mathscr T\) tels que \(A\subset B\) et \(\mu(A) \lt \infty\text{.}\) Alors, \(\mu(B\setminus A) = \mu(B)-\mu(A)\text{.}\)
-
(Sous-additivité): Soit \((A_n)_n \in \mathscr T^\mathbb N\text{.}\) Alors
\begin{equation*} \mu\left(\bigcup_n A_n\right) \leq \sum_n \mu(A_n) \end{equation*} -
(Union croissante:) Soit \((A_n)_n \in \mathscr T^\mathbb N\) tel que pour tout \(n\text{,}\) \(A_n \subset A_{n+1}\text{.}\) Alors
\begin{equation*} \mu\left(\bigcup_n A_n\right) = \lim_{n\rightarrow \infty} \mu(A_n) \end{equation*} -
(Intersection décroissante:) Soit \((A_n)_n \in \mathscr T^\mathbb N\) tel que pour tout \(n\text{,}\) \(A_{n+1} \subset A_{n}\text{,}\) et tel que \(\mu(A_0) \lt \infty\text{.}\) Alors
\begin{equation*} \mu\left(\bigcap_n A_n\right) = \lim_{n\rightarrow \infty} \mu(A_n) \end{equation*}
Exercice 4.1.1. Preuve.
(a)
Démontrer que \(\mu\) est monotone.Soient \(A, B\) tels que \(A\subset B\text{.}\) Alors \(B=A \cup (B\setminus A)\) donc, par additivité,
(b)
Démonter la deuxième propriété (calcul de la mesure d'une différence ensembliste)Reprenons la preuve de la monotonie : si \(\mu(A) \lt \infty\text{,}\) alors on peut soustraire \(\mu(A)\) de part et d'autre de l'égalité, ce qui donne
(c)
Démontrer que \(\mu\) est sous-additive
Construire, à partir des \((A_n)_n\) une suite d'ensembles mesurables disjoints, puis utiliser la \(\sigma\)-additivité de \(\mu\text{.}\)
Posons \(B_0 = A_0\) et, pour tout \(n\geq 1\text{,}\)
Alors, la suite \((B_n)_n\) vérifie
On a donc, pour \(n\in \mathbb N\)
d'où le résultat, par passage à la limite quand \(n\rightarrow \infty.\)
(d)
Montrer la propriété sur les unions croissantes.
Construire à nouveau une suite disjointe.
On poset \(B_0 = A_0\) et, pour tout \(n\geq 1\text{,}\)
Alors les \(B_n\) sont deux à deux disjoints et, pour tout \(n\text{,}\)
donc
(e)
....Devinez c equ'il reste à faire, et faites-le.
Posons, pour tout \(n\in \mathbb N\text{,}\) \(B_n= A_0 \setminus A_n\text{.}\)
Alors \((B_n)_n\) est une suite croissante de \(\mathscr T\) et \(\bigcup_n B_n = A_0 \setminus \bigcap_n A_n\text{.}\)
Puisque \(\mu(A_0)\lt \infty\text{,}\) on a par [cross-reference to target(s) "item" missing or not unique]
:
Exemple 4.1.8. Contre-exemple si \((5)\) n'est pas vérifié.
L'hypothèse \(\mu(A_0) \lt \infty\) dans le point [cross-reference to target(s) "inter_decrois" missing or not unique]
est indispensable. En effet, considérons \((\mathbb N, \mathcal P(\mathbb N))\) muni de la mesure de comptage et posons, pour \(n\in \mathbb N\text{,}\) \(A_n=\{n, n+1,\dots\}\text{.}\) Alors \(A_n \supset A_{n+1}\text{,}\) \(\bigcap_{n \in \mathbb N} A_n = \emptyset\) mais