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Section 8.2 Mesure produit

Comment va-t-on s'y prendre pour mesurer un sous-ensemble \(E\subset X\times Y\) ?

Commençons doucement: les ensembles qu'on peut compter.

Prenons par exemple, \(X=Y =\N\text{,}\) avec la tribu \(\mathcal P(\N)\) et la mesure de comptage \(\mu\text{.}\)

Si on a un sous-ensemble \(A\) dans \(\N\times\N\text{,}\) par exemple:

une façon de mesurer \(A\text{,}\) ce serait tout simplement d'utiliser la mesure de comptage sur \(\N^2\text{:}\) la mesure de \(A\text{,}\) ce serait \(\Card(A)\text{,}\) ici \(\Card(A)=10\text{.}\)

Ce qui est tout à fait raisonnable, mais ne nous dit pas vraiment comment on passe de la mesure sur \(\N\) à la mesure sur \(\N\times\N\text{.}\)

Ca se voit mieux sur un rectangle:

Bien sûr, on peut calculer \(\Card(R)\) en comptant les points rouges un par un, mais il semble plus efficace de compter les points en hauteur, dans \(\N\) du coup, et de multiplier par la largeur 1 . Ce qui est rassurant, c'est que le théorème suivant arrive à la même conclusion:

\begin{align*} (\mu \otimes \mu)(R)=(\mu \otimes \mu)((\{3,4,5,6,7,8\}\times\{2,3,4,5\})\\ \amp=\mu(\{3,4,5,6,7,8\}) \cdot \mu(\{2,3,4,5\})\\ \amp=6\cdot4=24 \end{align*}

\(A\) n'est pas un rectangle mais on peut quand même faire une opération du même genre, en tenant compte du fait que la hauteur varie à chaque point en "largeur": on découpe A en "tranches" verticales:

et on compte tranche par tranche:

\begin{align*} \Card(A)\amp = \Card(A_0)+\Card(A_1)+\Card(A_2)+\Card(A_3)....\\ \amp= 0+0+1+3+3+1+0+0+2+0+....\\ \amp=10 \end{align*}

De la même façon, si on a un rectangle dans \(\R^2\text{,}\) et qu'on veut le mesurer, il semble raisonnable de dire que sa mesure, c'est son aire:

\begin{equation*} (\lambda \otimes \lambda)(\rbb a,b\lbb \times\rbb c,d\lbb )=\lambda_1(\rbb a,b\lbb )\lambda_1(\rbb c,d\lbb )=(b-a)\cdot(d-c) \end{equation*}

Et à nouveau, c'est la conclusion du théorème précédent.

De là, pour mesurer un patatoïde \(E\subset \R^2\text{,}\) on pourrait le découper en petits sous-rectangles, et sommer les aires:

Le problème, c'est que ça nous limite aux ensembles qu'on peut remplir avec des sous-rectangles. Et se pose le même problème que pour la mesure des sous-ensembles de \(\R\text{:}\) des sous-ensembles de \(\R^2\text{,}\) il y en a des pas piqués des hannetons 2 , et on aimerait les mesurer quand même. Et pour ça, plutôt que de se restreindre à des aires de rectangles, on aimerait se baser sur la puissante mesure de Borel/Lebesgue qu'Emile et Henri a sué sang et eau pour nous donner.

Et pour ça, comme pour les ensembles finis qu'on vient de voir, on va découper nos patatoïdes en tranches fines, et mesurer les tranches. Et ça, on va pouvoir le faire sur n'importe quel produit d'espaces mesurés \((X,\T,\mu)\) et \((Y,\mathscr S,\nu)\text{.}\)

Introduisons pour ça quelques notations:

Pour tout sous-ensemble \(E\subset X\times Y\text{,}\) on pose, pour \(x\in X\text{:}\)

\begin{equation*} E_{x,.}=\{y\in Y,(x,y)\in E\}\subset Y \end{equation*}

\(\leadsto\) Du coup, \(E_{x,.}\) est un sous-ensemble de Y.

Figure 8.2.2. Tranches de patatoïdes mesurables

Remarque 8.2.3.

On a donc

\begin{equation*} E=\bigcup_{x\in X}\{x\}\times E_{x,.} \end{equation*}

Exercice 8.2.1. Propriétés ensemblistes des tranches \(E_{x,.}\).

(a)

Montrer que, pour tous \(E,F\subset X\times Y\text{,}\) pour tous \(x\in X,\text{,}\)

\begin{equation*} (E\setminus F)_{x,.}=E_{x,.}\setminus F_{x,.} \end{equation*}

(b)

Pour toute famille \((E_{i})_{i\in I}\in\mathcal{P}(X\times Y)^{I}\text{,}\) on a

\begin{equation*} \left(\bigcup_{i\in I}E_{i}\right)_{x,.} =\bigcup_{i\in I}(E_{i})_{x,.} \end{equation*}

(c)

Pour toute famille \((E_{i})_{i\in I}\in\mathcal{P}(X\times Y)^{I}\text{,}\) on a

\begin{equation*} \left(\bigcap_{i\in I}E_{i}\right)_{x,.} =\bigcap_{i\in I}(E_{i})_{x,.} \end{equation*}

Sur \(\R^{2}=\R\times\R\text{,}\) prenons l'exemple simple d'un rectangle \(R=\rbb a,b\lbb \times\rbb c,d\lbb \text{.}\)

Alors, pour \(x\in\R, y\in\R\text{,}\)

\begin{equation*} R_{x,.} = \{y\in\R,(x,y)\in\rbb a,b\lbb \times\rbb c,d\lbb \}=\begin{cases}\rbb c,d\lbb \amp \text{ si }x\in\rbb a,b\lbb \\\emptyset \amp \text{ sinon.}\end{cases} \end{equation*}

Exercice 8.2.2. Tranches mesurables.

La première bonne nouvelle, c'est que si \(E\) est un ensemble mesurable de \(X\times Y\text{,}\) alors toutes ses tranches "verticales" \(E_{x,.}\) sont des sous-ensembles mesurables de \(X\text{.}\)

(a)

Soit \(E\in\T\otimes\S\text{,}\) alors pour tout \(x\in X\text{,}\) \(E_{x,.}\in\S\text{.}\)

Spoiler.

Fixons un \(x_{0}\in X\text{.}\) On veut montrer que \(E_{x_{0},.}\) appartient à la tribu \(\S\text{.}\)

Pour cela, on introduit la fonction

\begin{equation*} h:y\in Y\mapsto(x_{0},y)\in X\times Y \end{equation*}

alors \(h=(h_{1},h_{2})\) avec \(h_{1}:y\in Y\mapsto x_{0}\in X\) constante, donc mesurable de \((Y,\S)\) dans \((X,\T)\)

 3 

et \(h_{2}:y\in Y\mapsto y\in Y\) est mesurable de \((Y,\S)\) dans \((Y,\S)\text{.}\)

Mais du coup, d'après la Proposition 8.1.7, \(h\) est mesurable de \((Y,\S)\) dans \((X\times Y,\T\otimes\S)\text{.}\) Or,

\begin{equation*} h^{-1}(E)=\{y\in Y,h(y)\in E\}=\{y\in Y,(x_{0},y)\in E\}=E_{x_{0},.}. \end{equation*}

Puisque \(E\in\T\otimes\S\) et \(h\in\L^{0}((Y,\S),(X\times Y,\T\otimes\S))\text{,}\) on en déduit que \(E_{x_{0},.}\in\S\text{,}\) comme souhaité.

Remarque 8.2.5.

Dans l'Exemple 8.2.4, on a effectivement \(R_{x,.},R_{.y}\in\B(\R)\text{,}\) et, dans l'exemple Exemple 8.2.9, si \(u\) est mesurable, alors \(A\in\B(\R^{2})\) et \(A_{x,.},A_{.y}\in\B(\R)\text{.}\)

Puisque \(E_{x,.}\) et \(E_{.,y}\) sont mesurables, on va pouvoir... les mesurer:

  • Pour tout \(x\in X\text{,}\) on obtient \(\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \text{.}\) Ce qui nous donne une fonction

    \begin{equation*} x\in X\mapsto\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \end{equation*}
  • Pour tout \(y\in Y\text{,}\) on obtient \(\mu(E_{.,y})\in\rbb 0,+\infty\lbb \text{.}\) Ce qui nous donne une fonction

Pour tout \(x\in X\text{,}\) on obtient \(\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \text{.}\) Ce qui nous donne une fonction

\begin{equation*} x\in X\mapsto\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \end{equation*}

La deuxième bonne nouvelle, c'est que cette fonction est elles-même mesurables:

Avant de montrer ça, vérifions ce que ça donne sur un exemple:

Sur \(\R^{2}=\R\times\R\text{,}\) reprenons le rectangle générique \(R=\rbb a,b\lbb \times\rbb c,d\lbb \text{.}\) Alors, pour \(x,y\in\R\text{,}\)

\begin{align*} \mu_{1}(R_{x,.}) \amp =\begin{cases}\mu_{1}(\rbb c,d\lbb )=d-c \amp \text{ si }x\in\rbb a,b\lbb \\\mu_{1}(\emptyset)=0 \amp \text{ sinon.}\end{cases}\\ \amp=(d-c)1_{\rbb a,b\lbb }(x) \end{align*}

et

\begin{align*} \mu_{1}(R_{.,y}) =\begin{cases}\mu_{1}(\rbb a,b\lbb )=b-a \amp \text{ si }y\in\rbb c,d\lbb \\\mu_{1}(\emptyset)=0 \amp \text{ sinon.}\end{cases}\\ \amp =(b-a)1_{\rbb c,d\lbb }(y) \end{align*}

et ces deux fonctions sont bien boréliennes.

Démontrons le résultat, en commençant par le petit bain:

Exercice Cas où \(\nu\) est finie

On note

\begin{equation*} \phi_{E}:x\in X\mapsto\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \end{equation*}

la fonction qui nous intéresse.

Dans un premier temps, on va supposer que \(\nu\) est une mesure finie, i.e. que pour tout \(B\in\S\text{,}\)\(\nu(B)\lt \infty\text{.}\)

Notons aussi

\begin{equation*} \mathcal{A}=\{E\in\T\otimes\S,\phi_{E}\in\L^{0}((X,\T),\overline \R^{+})\}\subset\T\otimes\S \end{equation*}

\(\leadsto\) Le but du jeu est de montrer que \(\mathcal{A}=\T\otimes\S\text{.}\)

1.

Montrer que si \(\emptyset\in \mathcal{A}\text{.}\)

Spoiler.

Si \(E=\emptyset\) alors pour tout \(x\in X,E_{x,.}=\emptyset\) donc \(\nu(E_{x,.})=0\text{.}\)

Donc \(\phi_{\emptyset}\) est la fonction constante égale à 0, qui est mesurable. Autrement dit, \(\emptyset\in\mathcal{A}\text{.}\)

2.

Soient \(E,F\in\mathcal{A}\text{.}\) Montrer que \(E\setminus F\in\mathcal{A}\text{.}\)

Indice. Spoiler.

D'après le Exercice 8.2.1, on a, pour tout \(x\in X\text{,}\)

\begin{equation*} \phi_{E\setminus F}(x)=\nu((E\setminus F)_{x,.})=\nu(E_{x,.}\setminus F_{x,.})=\nu(E_{x,.})-\nu(F_{x,.}) \end{equation*}

où la dernière égalité est totalement licite puisqu'on a supposé que \(\nu\) est finie.

On en déduit que \(\phi_{E\setminus F}=\phi_{E}-\phi_{F}\) est mesurable comme différence de fonctions mesurables.

Donc \(E\setminus F\in\mathcal{A}\text{.}\)

3.

Soit \((E_{n})_{n\in\N}\in\mathcal{A^{\N}}\text{.}\) Montrer que

\begin{equation*} \bigcup_{n\in\N}E_{n}\in\mathcal{A}. \end{equation*}
Indice.

Construire une famille disjointe à partir des \((E_n)_n\text{:}\)

\begin{equation*} \tilde{E_{0}}=E_{0},\tilde{E}_{n+1}=E_{n+1}\setminus\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}} \end{equation*}

puis montrer par réccurrence que, pour tout \(n\in\N,\)

\begin{equation*} \cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}\in\mathcal{A} \end{equation*}
Spoiler.

Soit \((E_{n})_{n\in\N}\in\mathcal{A^{\N}}.\) On considère la famille disjointe \((\tilde{E_{n}})_{n}\) définie par

\begin{equation*} \tilde{E_{0}}=E_{0},\tilde{E}_{n+1}=E_{n+1}\setminus\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}. \end{equation*}

Alors \(\bigcup_{n\in\N}E_{n}=\bigcup_{n\in\N}\tilde{E_{n}}\) et, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}=\cup_{k=0}^{n}E_{k}. \end{equation*}

De plus, pour tout \(n\in\N,\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}\in\mathcal{A}\text{.}\) On le montre par récurrence:

  • Initialisation:Si \(n=0\text{,}\) \(\tilde{E}_{0}=E_{0}\in\mathcal{A}.\)

  • Pas de réccurrence: Supposons que \(\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}\in\mathcal{A}\text{.}\) Alors, d'après la question précédente,

    \begin{equation*} \tilde{E}_{n+1}=E_{n+1}\setminus\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}\in\mathcal{A} \end{equation*}

    et

    \begin{align*} \phi_{\cup_{k=0}^{n+1}\tilde{E_{k}}}(x) \amp=\nu(\cup_{k=0}^{n+1}\tilde{(E_{k})}_{x,.})\\ \amp =\nu(\left(\cup_{k=0}^{n}\tilde{(E_{k})}_{x,.}\right)\cup(\tilde{E}_{n+1})_{x,.})\\ \amp =\nu(\cup_{k=0}^{n}\tilde{(E_{k})}_{x,.})+\nu((\tilde{E}_{n+1})_{x,.})\\ \amp =\phi_{\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}}(x)+\phi_{\tilde{E}_{n+1}}(x) \end{align*}

    est mesurable, car c'est une somme de deux fonctions mesurables.

  • Ce qui termine la réccurrence !

On a alors, pour \(x\in X\)

\begin{align*} \phi_{\bigcup_{n\in\N}E_{n}}(x)\amp=\nu\left((\bigcup_{n\in\N}E_{n})_{x,.}\right)\nu\left((\bigcup_{n\in\N}\tilde{E_{n}})_{x,.}\right)\\ \amp =\nu\left(\bigcup_{n\in\N}\tilde{(E_{n}})_{x,.}\right)\\ =\sum_{n\in\N}\nu((\tilde{E_{n}})_{x,.})\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\sum_{k=0}^{n}\nu((\tilde{E_{k}})_{x,.})\\ \amp=\lim_{n\rightarrow\infty}\nu(\cup_{k=0}^{n}\tilde{(E_{k})}_{x,.})\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\phi_{\cup_{k=0}^{n}\tilde{E_{k}}}(x) \end{align*}

est mesurable comme limite d'une suite de fonctions mesurables. Donc

\begin{equation*} \bigcup_{n\in\N}E_{n}\in\mathcal{A}. \end{equation*}

4.

Montrer que \(\mathcal R\subset \mathcal A\text{.}\)

Spoiler.

Soient \(A\in\T,B\in\S\text{,}\) montrons que \(A\times B\in\mathcal{A}\text{.}\)

Pour tout \(x\in X,y\in Y\text{,}\) on a

\begin{equation*} (A\times B)_{x,.} =\begin{cases}B \amp \text{ si }x\in A\\\emptyset \amp \text{ sinon}\end{cases} \end{equation*}

donc

\begin{equation*} \phi_{A\times B}(x)=\begin{cases}\nu(B) \amp \text{ si }x\in A\\0 \amp \text{ sinon}\end{cases}=\nu(B)1_{A}(x) \end{equation*}

donc puisque \(A\in\S\text{,}\) \(\phi_{A\times B}\) est mesurable et \(A\times B\in\mathcal{A}\text{.}\)

5.

Conclure pour le cas où \(\nu\) est finie !

Spoiler.

On en déduit que \(\mathcal{A}\) est une tribu qui contient \(\mathcal R\text{,}\) donc, puisque \(\T\otimes\S\) est la plus petite tribu qui contient \(\mathcal R\text{,}\)

\begin{equation*} \T\otimes\S\subset\mathcal{A} \end{equation*}

En particulier, pour tout \(E\in\T\otimes\S\text{,}\) \(x\in X\mapsto\nu(E_{x,.})\in\rbb 0,+\infty\lbb \) est mesurable de \((X,\T)\) dans \((\overline \R^{+},\B(\overline\R^{+}))\text{,}\) comme souhaité.

Exercice Les choses sérieuses: \(\nu\) \(\sigma\)-finie

On suppose maintenant seulement que \(\nu\) est \(\sigma\)-finie (voir la Définition 4.1.4). Il existe donc \((F_{n})_{n}\in\S^{\N}\) une suite croissante telle que

\begin{equation*} \bigcup_{n\in\N}F_{n}=Y \end{equation*}

et, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \nu(F_{n})\lt\infty. \end{equation*}

Pour chaque \(n\in\N\text{,}\) on note \(\nu_{n}\) la mesure de densité \(1_{F_{n}}\) par rapport à \(\nu\text{:}\) autrement dit, pour tout \(n\in\N\text{,}\) pour tout \(B\in\S\text{,}\)

\begin{equation*} \nu_{n}(B)=\int_{Y}^{*}1_{B}1_{F_{n}}d\nu \end{equation*}

1.

Montrer que \(\nu_{n}\) est une mesure finie.

Spoiler.

Pour tout \(B\in\S\text{,}\)

\begin{equation*} \nu_{n}(B)=\int_{Y}^{*}1_{B}1_{F_{n}}d\nu=\int_{Y}^{*}1_{F_{n}\cap B}d\nu=\nu(B\cap F_{n}). \end{equation*}

2.

Soit maintenant \(E\in\T\otimes\S\text{.}\) Montrer que la fonction qui nous intéresse:

\begin{equation*} \phi:x\in X\mapsto\nu(E_{x,.}) \end{equation*}

est une limite de fonctions mesurables.

Indice.

Considérer \(\phi_{n}:x\in X\mapsto\nu_{n}(E_{x,.})\text{.}\)

Spoiler.

Dans l'Exercice 8.2, on a montré que, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \phi_{n}:x\in X\mapsto\nu_{n}(E_{x,.}) \end{equation*}

est mesurable.

\begin{align*} \phi_E(x) \amp=\nu(E_{x,.})=\nu(E_{x,.}\cap Y)\\ \amp =\nu(E_{x,.}\cap(\bigcup_{n\in\N}F_{n}))\\ \amp=\nu(\bigcup_{n\in\N}(E_{x,.}\cap F_{n}))\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\nu(E_{x,.}\cap F_{n})\text{ ("COMOSEQ"))}\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\nu_{n}(E_{x,.})\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\phi_{n}(x) \end{align*}

donc \(\phi_E\) est mesurable car c'est une limite de fonctions mesurables. Ceci étant vrai pour tout \(E\in\T\otimes\S\text{,}\) on a bien montré le premier point de la proposition.

Et pourquoi est-ce fantastique de pouvoir mesurer \(\phi_E\text{,}\) me demanderez-vous ?

Revenons à notre raison première de découper en tranches: mesurer l'ensemble \(E\text{.}\)

Pour \(x_0\in X\text{,}\) \(\nu(E_{x_0,.})\) mesure la "tranche verticale" de \(E\) à la position \(x_0\text{:}\)

et pour mesurer \(E\text{,}\) donc, on peut "sommer" les mesures de toutes ces tranches:

\begin{equation*} \int_X^* \nu(E_{x,.})\,d\mu(x) \end{equation*}

et c'est comme ça qu'on va définir la mesure produit: on pose

\begin{equation*} \mu \otimes \nu : E\in \T\otimes \mathscr S \mapsto \int_X^* \nu(E_{x,.})\,d\mu(x)\in \rbb 0,+\infty\lbb \end{equation*}

Exercice 8.2.3. \(\mu \otimes \nu \) est une mesure.

(a)

Vérifier que \((\mu \otimes \nu)(\emptyset)=0\)

(b)

Soit \((E_n)_n \in (\T\otimes \mathscr S)^\N\) une famille dénombrable disjointe.

Montrer que

\begin{equation*} (\mu \otimes \nu)\left(\bigcup_n E_n\right) = \sum_{n\in\N}(\mu \otimes \nu)(E_n) \end{equation*}
Indice.

\(\nu\) est une mesure, donc elle est elle aussi \(\sigma\)-additive.

Et Beppo-Levi, toujours serviable, peut nous aider avec les intégrales de séries de fonctions, du moment qu'elles sont positives.

Exercice 8.2.4. \(\mu \otimes \nu \) gère les rectangles, et c'est bien la seule.

(a)

Soient \(A\in \T,B\in \mathscr S\text{.}\) Montrer que

\begin{equation*} (\mu \otimes \nu)(A\times B)=\mu(A) \cdot \nu(B) \end{equation*}
Indice.

Que donne la fonction \(\phi_{A\times B}(x)\) ?

(b)

Montrer qu'il existe une suite croissante \((R_n)_n\) de rectangles mesurables 8.1.5 telle que

\begin{equation*} X\times Y = \bigcup_n R_n \end{equation*}

En déduire que si \(\mu\) et \(\nu\) sont \(\sigma\)-finies, alors \(\mu\otimes\nu\) aussi.

(c)

Pour terminer notre théorème, il nous reste à montrer que \((\mu \otimes \nu)\) est la seule et unique mesure sur \(\T \otimes \mathscr S\) qui aie cette propriété.

Soit \(m: \T \otimes \mathscr S\rightarrow\rbb 0,+\infty\lbb \) une mesure telle que \(m(A\times B)=\mu(A)\nu(B)\) pour tous \(A\in \T,B\in \mathscr S\text{.}\)

Montrer que \(m=\mu\otimes\nu\text{.}\)

Indice.

Utiliser allègrement la Section 4.4

Pour résumer, on a obtenu \(\mu\otimes\nu\text{,}\) en découpant les ensembles mesurables en tranches "verticales" \(E_{x,.}\subset Y\text{,}\) qu'on a mesurées à l'aide de \(\nu\text{,}\) puis on a intégré sur toutes les tranches à l'aide de \(\mu\text{.}\)

On a donc défini, avec les notations de la section précédente

\begin{equation*} (\mu \otimes\nu)(E)=\int_X^* \nu(E_{x,.})\,d\mu(x) \end{equation*}

Mais la mesure d'un ensemble mesurable de \(Y\text{,}\) c'est la même chose que l'intégrale de son indicatrice:

\begin{equation*} (\mu \otimes\nu)(E)=\int_X^* \left(\int_Y^* 1_{E_{x,.}}(y) d\nu(y)\right)\,d\mu(x) \end{equation*}

\(\leadsto\) Notre intégrale est une intégrale double sur une indicatrice de tranche verticale.

Mais on aurait pu découper horizontalement.

Dans ce cas, on obtient des tranches mesurables dans X:

Définition 8.2.8.

Pour \(y\in Y\text{,}\)on note

\begin{equation*} E_{.,y}=\{x\in X,(x,y)\in E\}\subset X \end{equation*}

Par exemple, avec notre sous-ensemble de tout à l'heure

\begin{equation*} A=\{(2,2),(2,4),(3,3),(3,4),(3,5)(4,2),(4,3),(4,4),(5,4),(8,5),(8,6)\subset \N\times \N \end{equation*}

Sans grande surprise, les tranches horizontales ont les mêmes propriétés que les tranches verticales:

 4 

Pour tout \(E\in \T\otimes \mathscr S\text{,}\) pour tout \(y\in Y\text{:}\)

  • \(\displaystyle E=\bigcup_{y\in Y}E_{.,y}\times\{y\}\)

  • \(\displaystyle (E\setminus F)_{.,y}=E_{.,y}\setminus F_{.,y}.\)

  • \(\displaystyle \left(\bigcup_{i\in I}E_{i}\right)_{.,y}=\bigcup_{i\in I}(E_{i})_{.,y}\)

  • \(\displaystyle \left(\bigcap_{i\in I}E_{i}\right)_{.,y}=\bigcap_{i\in I}(E_{i})_{.,y}\)

  • Et, enfin, \(E_{.,y}\) est mesurable: \(E_{.,y}\in\mathscr S\text{.}\)

Ce qui nous permet de définir une fonction qui mesure les tranches:

\begin{equation*} \psi_E: y\in Y\mapsto\mu(E_{.,y})\in\rbb 0,+\infty\lbb . \end{equation*}

Et vous ne serez pas surpris d'apprendre que \(\psi_E\) est mesurable de \((Y,\S)\) dans \((\overline{\R}^+,\B(\overline{\R}^+))\text{.}\)

Ce que je vous laisse vérifier, si vous ne me croyez pas.

Et choisir la bonne direction de découpage, c'est parfois ce qui va nous éviter de nous retrouver dans cette situation

Exercice 8.2.5. Mesure par découpage horizontal.

(a)

Montrer que

\begin{equation*} m_{水平}:E\in\T\otimes\mathscr S \mapsto \int_Y^* \mu(E_{.,y})\,d\nu(y) \end{equation*}

est une mesure sur \(X\times Y\text{.}\)

(b)

Montrer que pour tout rectangle mesurable 8.1.5 \(R=A\times B\in \mathcal R\text{,}\) on a

\begin{equation*} m_{水平}(A\times B)= \mu(A)\nu(B) \end{equation*}

(c)

En déduire que, pour tout \(E\in \T\otimes \mathscr S\text{,}\)

\begin{equation*} \mu\otimes \nu(E)=\int_X^* \nu(E_{x,.})\,d\mu(x) \int_Y^* \mu(E_{.,y})\,d\nu(y) \end{equation*}

Et du coup notre mesure produit nous donne

\begin{equation*} \mu\otimes \nu(E)=\int_X^* \left(\int_Y^* 1_{E_{x,.}}(y) d\nu(y)\right)\,d\mu(x) \int_Y^* \left(\int_X^* 1_{E_{.,y}}(x) d\mu(x)\right)\,d\nu(y) \end{equation*}

Soit \(u:\rbb a,b\lbb \rightarrow\R^{+}\) une fonction positive. On considère la région de \(\R^{2}\) comprise entre l'axe des abscisses et la courbe représentative de \(u\text{:}\)

\begin{equation*} A=\{(x,y)\in\R^{2},x\in\rbb a,b\lbb ,0\leq y\leq u(x)\}. \end{equation*}

Alors pour \(x\in\R,y\in\R,\)

\begin{equation*} A_{x,.} =\{y\in\R,x\in\rbb a,b\lbb ,0\leq y\leq u(x)\}=\begin{cases} \rbb 0,u(x)\lbb \amp \text{ si }x\in\rbb a,b\lbb \\\emptyset \amp \text{ sinon.}\end{cases} \end{equation*}

et

\begin{equation*} A_{.y} =\{x\in\R,x\in\rbb a,b\lbb ,0\leq y\leq u(x)\}=u^{-1}(\rbb y,+\infty\rbb ) \end{equation*}

Enfin, comme pour les tribus, si on a \(14\) espaces mesurés, on n'a pas 2674440 5  mesures différentes sur leur produit:

Si vous avez des remontées de souvenirs de CE1, demandez vous si \(\mu\) est bien une mesure \(\sigma\)-finie sur \(\N\text{,}\) ça devrait passer.
fr.wikipedia.org/wiki/Tipi_de_Cantor
Pourquoi, au fait ?

Nous ne sommes donc pas dans cette situation

www.bibmath.net/dico/index.php?action=affiche&quoi=./c/catalannombre.html