Section 6.5 Fonctions étagées
Les fonctions en escaliers,on l'a rappelé, sont les briques de base de l'intégration de Riemann. Dans la théorie de Lebesgue, ce rôle sera joué par les fonctions étagées:
Définition 6.5.1.
Une fonction \(f:X \rightarrow \mathbb R\) est étagée si, et seulement si, elle ne prend qu'un nombre fini de valeurs \(\alpha_1,\ldots, \alpha_n\text{.}\)
En notant, pour chaque entier \(i\) entre 1 et n, \(A_i=f^{-1}(\{\alpha_i\})\text{,}\) on a alors
autrement dit, les fonctions étagées sont combinaisons linéaires de fonctions indicatrices.
Réciproquement, si \(f:X\rightarrow \mathbb R\) estde la forme
où les \(B_i\) sont des sous-ensembles de \(X\) non nécessairement disjoints et les \(\beta_i\) des réels non nécessairement distincts, alors \(f\) ne peut prendre qu'un nombre fini de valeurs et est donc étagée. Les fonctions étagées sont donc exactement les combinaisons linéaires d'indicatrices.
Par ailleurs, une somme de fonctions étagées est encore étagée, ainsi qu'un produit ou un max/min de fonctions étagées.
On obtient facilement le résultat suivant 1 :
Proposition 6.5.2.
Soit \((X,\mathscr T)\) un espace mesurable. Une fonction étagée \(f=\sum_i \alpha_i \mathbb{1}_{A_i}\) (où les \(A_i\) sont supposés disjoints) est mesurable si, et seulement si, tous les \(A_i\) sont mesurables.
On notera \(\mathscr E(X,\mathscr T)\) l'ensemble des fonctions étagées mesurables sur \((X,\mathscr T)\text{.}\) On note \(\mathscr E^+(X,\mathscr T)\) l'ensemble des fonctions étagées mesurables à valeurs dans \(\rbb 0,+\infty\lbb \text{.}\)
Dans ce cas les \(A_i\) forment une partition finie de \(X\) par des ensembles mesurables. Dans un sursaut de créativité, on appelle cela une PMF (partition mesurable finie).
Crucialement, toutes les fonctions raisonnables positives sont limites de fonctions en escaliers. Plus précisément:
Théorème 6.5.4. (Approximation par des fonctions étagées).
Soit \((X,\mathscr T)\) un espace mesurable et \(f:(X,\mathscr T)\rightarrow (\rbb 0,+\infty\lbb ,\mathscr B(\rbb 0,+\infty\lbb )\) une fonction mesurable.
Alors il existe une suite croissante de fonctions étagées mesurables \((f_n)_{n\in \mathbb N}\) telle que pour tout \(x\in X\text{,}\) \(f_n(x)\xrightarrow{n\rightarrow\infty} f(x)\text{.}\)
Preuve.
Soit \(N\in \mathbb N\text{.}\) On va approcher \(f\) sur la partie de \(X\) telle que \(f(x) \lt N\text{.}\) Pour cela, on écrit \(\rbb 0, N\rbb =\bigcup_{n=0}^{N-1} \rbb n,n+1\rbb \text{,}\) et on subdivise chaque \(\rbb n,n+1\rbb \) en \(2^N\) sous-intervalles réguliers \(I_{n,k}\) (avec \(k\in \{1,\ldots,2^N\}\)). On va approcher \(f\) par une fonction constante sur chaque sous-ensemble \(f^{-1}(I_{n,k})\text{.}\)
Plus précisément, on définit la fonction \(f_N\) par
On vérifie que \(f_N\) prend un nombre fini de valeurs: en effet, \(E(2^Nf(x))\) est un entier compris entre 0 et \(2^N N\)). C'est donc bien une fonction étagée, et mesurable, puisque pour tout entier \(m\) entre 0 et \(2^N N\text{,}\)
en utilisant la mesurabilité de \(f\text{.}\)
De plus, pour tout \(x\in f^{-1}(\rbb 0,N\rbb )\text{,}\) on a \(f_N(x)=\frac m{2^N}\) ssi \(\frac m{2^N}\leq f(x)\leq \frac{m+1}{2^N}\text{,}\) donc, pour tout \(x\in f^{-1}(\rbb 0,N\rbb )\text{,}\)
Autrement dit, la suite \((f_N)_N\) converge simplement vers \(f\text{.}\)
Reste à montrer que la suite \((f_N)_N\) est croissante. Pour cela, on utilise le découpage suivant:
ce qui se réécrit, en termes des fonctions \((f_N)\text{:}\)
ou encore
On en déduit que \(f_N(x)\leq f_{N+1}(x)\) sur \(f^{-1}(\rbb 0,N\rbb )\text{.}\) Par ailleurs, si \(f(x)\geq N\text{,}\) alors \(f_N(x)=N\leq f_{N+1}(x)\text{.}\) Au total, la suite \((f_N)\) est bien croissante, comme requis.