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Section 8.3 Intégration dans tous les sens: théorèmes de Fubini et Fubini-Tonelli

Muni d'une tribu et d'une mesure, nous somme prêts à intégrer n'importe quelle fonction mesurable positive définie sur \(X\times Y\)

\begin{equation*} f\in\L^0(X\times Y,\T\otimes\S,\R^+) \end{equation*}

ou alors \((\mu\otimes\nu)\)-intégrable

\begin{equation*} f\in\L^1((X\times Y,\T\otimes\S,\mu\otimes\nu),\R) \end{equation*}

Au bon vieux temps de l'intégrale de Riemann, avec \(X\) et \(Y\) des intervalles dans \(\R\text{,}\) ça nous donnait des intégrales doubles 1 .

Et une opération qui simplifie parfois considérablement la vie, lorsqu'on calcule l'intégrale d'une fonction à deux (ou plus!) variables \(f(x,y)\text{,}\) c'est de choisir par rapport à quelle variable on intègre en premier. D'où l'intérêt des théorèmes du genre

\begin{equation*} \int_c^d \left(\int_a^b f(x,y)dx\right)\,dy = \int_a^b \left(\int_c^d f(x,y)\,dy\right)dx \end{equation*}

Mais, pour espérer faire ça...encore faut-il avoir deux signes intégrales à échanger ! Par exemple

\begin{equation*} (\star)\quad \int_{Y}^{*}\left(\int_{X}^{*}f(x,y)d\mu(x)\right)d\nu(y) \end{equation*}

ou

\begin{equation*} (\star\star)\quad \int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}f(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{equation*}

Mais avec la mesure produit, on n'en a qu'un:

\begin{equation*} (\star\star\star)\quad\int_{X\times Y} \,f(x,y)\,d(\mu\otimes\nu)(x,y) \end{equation*}

\(\leadsto\) Pour les fonctions \(f:X\times Y \rightarrow\R\) telles que \((\star),(\star\star)\) et \((\star\star\star)\) existent, ce qu'on aimerait, c'est qu'ils soient tous égaux. Ainsi, on pourra intégrer dans l'ordre qu'on veut.

C'est ce que les théorèmes de Fubini, et Fubini-Tonelli, vont nous permettre de faire.

Figure 8.3.2. Guido et Leonida.Source: Wikipedia

Pour montrer ce résultat, on va recourir à une stratégie qui a fait ses preuves:

  1. On montre qu'il est vrai pour les fonctions indicatrices d'ensembles mesurables \(1_E,E\in\T\otimes\mathscr S\text{;}\)

  2. On en déduit, par linéarité de l'intégrale supérieure, qu'il est vrai pour les fonction étagées positives;

  3. Pour passer enfin aux fonctions mesurables, utilise le fait que \(f\in\L^{0}(X\times Y,\T\otimes\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\) est limite d'une suite croissante de fonctions étagées positives; et on utilise Beppo-Levi (Théorème 7.3.2) pour obtenir gratuitement l'égalité des intégrales.

Y a plus qu'à.

Exercice 8.3.1. Etape 1: les indicatrices.

Soit \(E\in\T\otimes\S\text{.}\) Montrons nos assertions 1 à 5 pour la fonction indicatrice \(1_{E}\text{.}\)

(a)

Soit \(x\in X\) fixé. montrer que

\begin{equation*} y\mapsto 1_{E}(x,y)\in\L^{0}(Y,\S;\rbb 0,\infty\lbb ) \end{equation*}
Spoiler.

On remarque que, quand \(x\) est fixé,

\begin{equation*} 1_{E}(x,y)=\begin{cases} 1\amp \text{ si }(x,y)\in E\\ 0\amp \text{ si }(x,y)\notin E \end{cases}=\begin{cases} 1\amp \text{ si }y\in E_{x,.}\\ 0\amp \text{ sinon} \end{cases}=1_{E_{x,.}}(y) \end{equation*}

Or on a montré que les tranches verticales \(E_{x,.}\) sont mesurables; donc \(1_{E_{x,.}}\in\L^{0}(Y,\S;\rbb 0,\infty\lbb )\text{.}\)

(b)

On peut donc définir une fonction

\begin{equation*} x\in X\mapsto\int_{Y}^{*}1_{E}(x,y)d\nu(y)=\int_{Y}^{*}1_{E_{x,.}}d\nu \end{equation*}

Montrer qu'elle est mesurable de \((X,\T)\) dans \((\rbb 0,\infty\lbb ,\B(\rbb 0,\infty\lbb ))\text{.}\)

Spoiler.

Là, il s'agit simplement d'une reformulation: on a déjà montré, non sans douleur, que

\begin{equation*} x\mapsto\nu(E_{x,.}) \end{equation*}

Or, justement,

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}1_{E}(x,y)d\nu(y)=\int_{Y}^{*}1_{E_{x,.}}d\nu=\nu(E_{x,.}) \end{equation*}

(c)

Se convaincre que de la même façon,pour tout \(y\in Y\text{,}\)

\begin{equation*} x\mapsto1_{E}(x,y)=1_{E_{.,y}}(x)\in\L^{0}(X,\T;\rbb 0,\infty\lbb ) \end{equation*}

et

\begin{equation*} y\in Y\mapsto\int_{X}^{*}1_{E}(x,y)d\mu(x)=\mu(E_{.,y})\in\L^{0}(Y,\S;\rbb 0,\infty\lbb ). \end{equation*}

(d)

Conclure pour les indicatrices.

Spoiler.

On a donc

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}1_{E}d(\mu\otimes\nu)=\mu\otimes\nu(E)=\int_{X}^{*}\nu(E_{x,.})d\mu(x)=\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}1_{E}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{equation*}

et, symétriquement,

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}1_{E}d(\mu\otimes\nu)=\mu\otimes\nu(E)=\int_{Y}^{*}\mu(E_{.,y})d\nu(y)=\int_{Y}^{*}\left(\int_{X}^{*}1_{E}(x,y)d\mu(x)\right)d\nu(y) \end{equation*}

donc notre théorème est vrai pour les fonctions indicatrices.

Exercice 8.3.2. Etape 2: les fonctions étagées.

Soit maintenant \(e:X\times Y\rightarrow\rbb 0,\infty\lbb \) une fonction \((\T\otimes\S)\)-étagée positive.

Alors il existe \((E_{1},\ldots,E_{n})\) une PMF de \((X\times Y,\T\otimes\S)\) et \((a_{1},\ldots a_{n})\in(\R_{+})^{n}\) tels que

\begin{equation*} e=\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{E_{i}} \end{equation*}

(a)

Justifier que, quel que soit \(x\in X\text{,}\)

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

est bien définie.

Spoiler.

Pour un \(x\in X\) fixé,

\begin{equation*} y\mapsto e(x,y)=\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{E_{i}}(x,y)=\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{(E_{i})_{x,.}}(y) \end{equation*}

est une combinaison linéaire de fonctions \(\L_{+}^{0}(Y,\S;\lbb 0,+\infty\lbb)\) d'après l'Exercice 8.3.1.

De plus les coefficients sont positifes, donc \(e\) appartient à \(\L^{0}(Y,\S;\rbb 0,\infty\lbb )\text{.}\) On en déduit que

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

est bien définie pour tout \(x\in X\text{.}\)

(b)

Justifier que

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

est mesurable de \((X,\T)\) dans \((\Rb^+,\B(\Rb^+))\text{.}\)

Spoiler.

Par linéarité de l'intégrale supérieure, on a, pour tout \(x\in X\text{,}\)

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y)=\int_{Y}^{*}\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y)=\sum_{i=1}^{n}a_{i}\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y); \end{equation*}

or on a vu à l'l'Exercice 8.3.1 que

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

est mesurable de \((X,\T)\) dans \((\rbb 0,+\infty\lbb ,\B(\rbb 0,+\infty\lbb ))\text{,}\) donc

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

est une somme de fonctione mesurables et donc elle appartient à \(\L^{0}((X,\T);\rbb 0,\infty\lbb )\text{.}\)

(c)

Montrer que

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}e(x,y)d(\mu\otimes\nu)(x,y)=\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{equation*}
Spoiler.

On a obtenu dans l'Exercice 8.3.1 que, pour tout \(i\in{1,...n}\text{,}\)

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}1_{E_{i}}d(\mu\otimes\nu)=\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{equation*}

Du coup, par linéarité des intégrales supérieures,

\begin{align*} \int_{X\times Y}^{*}e(x,y)d(\mu\otimes\nu)(x,y) \amp=\int_{X\times Y}^{*}\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{E_{i}}d(\mu\otimes\nu)\\ \amp =\sum_{i=1}^{n}a_{i}\int_{X\times Y}^{*}1_{E_{i}}d(\mu\otimes\nu)\\ \amp=\sum_{i=1}^{n}a_{i}\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x)\\ \amp =\int_{X}^{*}\sum_{i=1}^{n}a_{i}\left(\int_{Y}^{*}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x)\\ \amp=\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}\sum_{i=1}^{n}a_{i}1_{E_{i}}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x)\\ \amp =\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}e(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{align*}

(d)

Adapter ce qu'on vient de faire pour obtenir que, pour tout \(y\in Y\text{,}\)

\begin{equation*} x\in X\mapsto e(x,y)\in\L^{0}((X,\T);\rbb 0,\infty\lbb ) \end{equation*}

et de là, la fonction

\begin{equation*} y\mapsto\int_{Y}^{*}e(x,y)d\mu(x) \end{equation*}

appartient à \(\L_{+}^{0}(Y,\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\text{.}\)

Puis montrer que

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}e(x,y)d(\mu\otimes\nu)(x,y)=\int_{Y}^{*}\left(\int_{X}^{*}e(x,y)d\mu(x)\right)d\nu(y) \end{equation*}

(e)

Conclure pour les fonctions étagées.

Exercice 8.3.3. Etape 3: les fonctions mesurables.

Dernière ligne droite ! Soit f\in\L^{0}(X\times Y,\T\otimes\S;\rbb 0,+\infty\lbb ). Montrons nos 5 assertions pour \(f\text{.}\)

Grâce a Théorème 6.5.4, on dispose d'une suite \((e_{n})_{n}\) de fonctions \((\T\otimes\S)\)-étagées, en pleine croissance, et telle que

\begin{equation*} e_{n}(x,y)\rightarrow f(x,y) \end{equation*}

pour tout (x,y)\in X\times Y.

Je pose ça là, au cas où. On note aussi:

\begin{gather*} f_{x,.}:y\in Y\mapsto f(x,y)\in \rbb 0,+\infty\lbb \\ f_{.,y}:x\in X\mapsto f(x,y)\in \rbb 0,+\infty\lbb \end{gather*}

(a)

Montrer que \(f_{x,.}\) est mesurable de \((Y,\S)\) dans \((\rbb 0,+\infty\lbb ,\B(\rbb 0,+\infty\lbb ))\text{.}\)

Indice.

Peut-on trouver une suite de fonctions mesurables qui converge vers \(f_{x,.}\) ?

Spoiler.

Pour tout \(x\in X\) fixé, d'après l'Exercice 8.3.2,

\begin{equation*} (y\mapsto e_{n}(x,y))_{n} \end{equation*}

est une suite croissante de fonctions de \(\L_{+}^{0}(Y,\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\text{,}\) qui tend vers la fonction \(f_{x,.}:y\mapsto f(x,y)\text{.}\)

Du coup, étant limite d'une suite de fonctions mesurables, \(f_{x,.}\in\L_{+}^{0}(Y,\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\text{.}\)

(b)

En déduire qu'on peut définir une fonction

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu(y) \in \rbb 0,\infty\lbb \end{equation*}

et que cette fonction est mesurable de \((X,\T)\) dans \(\rbb 0,\infty\lbb \text{.}\)

Spoiler.

Puisque, pour tout \(x\in X\text{,}\) \(f_{x,.}\in\L_{+}^{0}(Y,\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\text{,}\) l'intégrale

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}f(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

existe pour tout \(x\text{.}\) De plus, d'après le Théorème 7.3.2,

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu(y)=\int_{Y}^{*}f(x,y)d\nu(y)=\lim_{n\rightarrow\infty}\int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y). \end{equation*}

Or, on a obtenu à l'Exercice 8.3.2 que la fonction

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

appartient à \(\L^{0}((X,\T);\rbb 0,\infty\lbb )\text{.}\) Donc

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu(y) \end{equation*}

est limite d'une suite de fonctions mesurables, donc elle appartient à \(\L^{0}((X,\T);\rbb 0,\infty\lbb )\text{.}\)

(c)

Montrer que, de la même façon, on peut définir la fonction:

\begin{equation*} y\in Y\mapsto\int_{X}^{*}f_{.,y}d\mu=\int_{X}^{*}f(x,y)d\mu(x,y)\in \rbb 0,\infty\lbb \end{equation*}

et que cette fonction appartient à \(\L_{+}^{0}(Y,\S;\rbb 0,+\infty\lbb )\text{.}\)

(d)

Montrer que

\begin{equation*} \int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu\right)d\mu(x)=\lim_{n\rightarrow\infty}\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x) \end{equation*}

et en déduire que

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}f(x,y)d(\mu\otimes\nu)=\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu\right)d\mu(x) \end{equation*}
Spoiler.

De plus, on a pour tout \(n\in\N\) et pour tout \((x,y)\in X\times Y\text{,}\) \(e_{n}(x,y)\leq e_{n+1}(x,y)\) donc, par croissance de l'intégrale, on a pour tout \(x\in X\text{,}\)

\begin{equation*} \int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y)\leq\int_{Y}^{*}e_{n+1}(x,y)d\nu(y) \end{equation*}

Mais du coup, la suite de fonctions

\begin{equation*} \left(x\mapsto\int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y)\right)_n \end{equation*}

qui tend vers la fonction

\begin{equation*} x\mapsto\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu(y) \end{equation*}

est croissante. Et donc, toujours par Beppo-Levi, on en déduit que

\begin{align*} \int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}f_{x,.}d\nu\right)d\mu(x) \amp =\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}f(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x)\\ \amp=\lim_{n\rightarrow\infty}\int_{X}^{*}\left(\int_{Y}^{*}e_{n}(x,y)d\nu(y)\right)d\mu(x)\\ \amp =\lim_{n\rightarrow\infty}\int_{X\times Y}^{*}e_{n}(x,y)d(\mu\otimes\nu)\\ \amp =\int_{X\times Y}^{*}f(x,y)d(\mu\otimes\nu) \end{align*}

où l'avant dernière égalité vient de l'Exercice 8.3.2.

(e)

Montrer que, de même,

\begin{equation*} \int_{X\times Y}^{*}f(x,y)d(\mu\otimes\nu)=\int_{Y}^{*}\left(\int_{X}^{*}f(x,y)d\mu(x)\right)d\nu(y) \end{equation*}

et conclure avec conviction.