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Section 6.1 Définition et premiers exemples

Une fonction \(f:X\subset E\rightarrow F\) définie entre deux espaces vectoriels normés \(E\) et \(F\) (ou plus largement, entre deux espaces topologiques) est continue ssi l'image réciproque d'un ouvert de \(F\) par \(f\) est un ouvert de \(X\text{.}\) Les fonctions continues sont les "fonctions raisonnables" de la topologie.

En s'inspirant de cette idée, on arrive à la définition suivante:

Définition 6.1.1.

Soient \((X,\mathscr T)\text{,}\) \((Y,\mathscr S)\) deux espaces mesurables. Une fonction \(f:X\rightarrow Y\) est \((\mathscr T,\mathscr S)\)-mesurable  1  si l'image réciproque de tout ensemble mesurable de \(Y\) est un ensemble mesurable de \(X\text{.}\) Autrement dit,

\begin{equation*} \forall\ B\in \mathscr S,\ f^{-1}(B)\in\mathscr T. \end{equation*}

Si \(X,Y\) sont des espaces vectoriels normés (ou plus généralement, des espaces topologiques), et \(\mathscr B(X),\mathscr B(Y)\) sont leurs tribus boréliennes respectives, alors une fonction \((\mathscr B(X),\mathscr B(Y))\)-mesurable est dite borélienne.

  • Les fonctions constantes sont toujours mesurables.

  • Soit \(f:(X,\mathscr T)\rightarrow (\mathbb R,\mathscr B(\mathbb R))\text{.}\) Si \(\mathscr T=\{\emptyset, X\}\text{,}\) alors \(f\) est mesurable ssi elle est constante.

    Exercice: C'est le cas aussi si \(f:(X,\mathscr T)\rightarrow (Y, \mathscr S)\text{,}\)\(\mathscr S\) est une tribu qui contient les singletons.

  • Soient \((X,\mathscr T)\text{,}\) \((Y,\mathscr S)\) deux espaces mesurables. Si \(\mathscr T=\mathcal P(X)\text{,}\) alors toutes les fonctions \(X\rightarrow Y\) sont mesurables.

  • Changeons de perspective: considérons une fonction fixée \(f:X\rightarrow (Y,\mathscr S)\) entre un ensemble \(X\) et un espace mesurable \((Y,\mathscr S)\text{.}\) Alors

    \begin{equation*} f^{-1}(\mathscr S)= \{f^{-1}(B), B\in \mathscr S\} \subset \mathcal P(X) \end{equation*}

    est une tribu sur \(X\text{,}\) appelée tribu image réciproque de \(\mathscr S\) par \(f\text{.}\) Alors

    \begin{equation*} f: (X,f^{-1}(\mathscr S))\rightarrow (Y,\mathscr S) \end{equation*}

    est mesurable. En fait, (exercice !), \(f^{-1}(\mathscr S)\) est la plus petite tribu sur \(X\) qui rend \(f\) mesurable. On la note \(\sigma(f)\text{.}\)

  • Plus concrètement, si \(X=\mathbb R\) et \(\mathscr T=\{\emptyset, \lbb -\infty,0\lbb , \lbb 0,+\infty\rbb ,\mathbb R\}\) 2 , et \((Y,\mathscr S)=(\mathbb R,\mathscr L(\mathbb R))\) alors les fonctions mesurables sont celles qui sont constantes sur \(\lbb -\infty,0\lbb \) et \(\lbb 0,+\infty\rbb \text{.}\)

Un cas particulier important est le suivant:

Définition 6.1.3.

Soit \(X\) un ensemble. Pour \(E\subset X\text{,}\) on appelle fonction indicatrice de \(E\) la fonction

\begin{align*} \mathbb{1}_E: X \amp \rightarrow (\mathbb R,\mathscr B(\mathbb R)\\ x \amp \mapsto \begin{cases} 1 \text{ si } x\in E\\ 0 \text{ sinon.} \end{cases} \end{align*}

Pour un borélien \(B\in\mathscr B(\mathbb R)\text{,}\) on a alors

\begin{equation*} \mathbb{1}_E^{-1}(B)= \begin{cases} E \text{ si }0\notin B, 1 \in B\\ X\setminus E \text{ si } 0\in B, 1 \notin B\\ X \text{ si } 0\in B, 1 \in B\\ \emptyset \text{ si } 0\notin B, 1 \notin B \end{cases} \end{equation*}

On en déduit que \(\boxed{\mathbb{1}_E \text{ est mesurable ssi }E \text{ est mesurable.}}\) Les indicatrices d'ensembles mesurables joueront un rôle crucial pour définir les intégrales un peu plus loin.

En dehors des exemples-jouets donnés ci-dessus, les tribus "intéressantes" (typiquement, \(\mathscr B(\mathbb R)\) ou \(\mathscr L(\mathbb R)\)) sont dotées d'une population abondante et diverse. Vérifier que chaque \(f^{-1}(B)\) est bien un ensemble mesurable de l'ensemble de départ peut donc sembler une tâche effrayante.

D'où l'intérêt du résultat suivant, qui nous permet de nous restreindre à une famille engendrant la tribu:

Commençons par montrer le résultat intermédiaire suivant, appelé lemme de transport:

\begin{equation*} \sigma(f^{-1}(\mathscr F))=f^{-1}(\sigma(\mathscr F)). \end{equation*}

On procède par double inclusion:

  • \(\boxed{\subset}\) Puisque \(\mathscr F \subset \sigma(\mathscr F)\text{,}\) on a \(f^{-1}(\mathscr F)\subset f^{-1}(\sigma(\mathscr F))\text{.}\) Or comme on l'a vu plus haut, \(f^{-1}(\sigma(\mathscr F))\) est une tribu, qui contient \(f^{-1}(\mathscr F)\text{,}\) donc

    \begin{equation*} \sigma(f^{-1}(\mathscr F))\subset f^{-1}(\sigma(\mathscr F)) \end{equation*}
  • \(\boxed{\supset}\) Soit \(\mathscr A\) la famille

    \begin{equation*} \mathscr A = \{B\in \mathcal P(Y),\ f^{-1}(B)\in \sigma(f^{-1}(\mathscr F))\} \end{equation*}

    On vérifie 3  que \(\mathscr A\) est une tribu sur \(Y\) qui contient \(\mathscr F\text{.}\) Par définition de la tribu engendrée, on a donc \(\sigma(\mathscr F)\subset \mathscr A\text{.}\) On en déduit que

    \begin{equation*} f^{-1}(\sigma(\mathscr F))\subset f^{-1}(\mathscr A)\subset \sigma(f^{-1}(\mathscr F)) \text{ (par définition de }\mathscr A) \end{equation*}

Montrons maintenant la proposition. Par définition, \(f\) est mesurable si, et seulement si

\begin{equation*} f^{-1}(\sigma(\mathscr F)) \in \mathscr T. \end{equation*}

Or, par le lemme de transport, \(f^{-1}(\sigma(\mathscr F))=\sigma(f^{-1}(\mathscr F))\text{.}\) Puisque \(\mathscr T\) est une tribu, on a \(\sigma(f^{-1}(\mathscr F))\subset\mathscr T\) si, et seulement si, \(f^{-1}(\mathscr F)\subset \mathscr T\text{,}\) ce qui est justement le résultat souhaité.

Soit \(f:(X,\mathscr T)\rightarrow(\mathbb R,\mathscr B(\mathbb R))\) une application. Alors, puisque \(\mathscr B(\mathbb R))\) est engendrée par \(\mathscr F=\{\rbb a,+\infty\rbb ,a\in\mathbb R\}\text{,}\) \(f\) est mesurable si, et seulement si

\begin{equation*} \boxed{\forall a \in\mathbb R,\ \{x\in X,\ f(x)\geq a\}\in \mathscr T.} \end{equation*}

De même, \(f\) est mesurable ssi

\begin{equation*} \boxed{\forall a \in\mathbb R,\ \{x\in X,\ f(x)> a\}\in \mathscr T.} \end{equation*}

Une autre application de ce résultat nous donne :

Soit \(f:X\rightarrow Y\) continue. Montrons qu'elle est mesurable.

La tribu \(\mathscr B(Y)\) des boréliens de \(Y\) est engendrée par la famille \(\mathcal O_Y\) est ouverts de \(Y\text{.}\) D'après le résultat précédent, il suffit de montrer que

\begin{equation*} \forall U\in \mathcal O_Y,\ f^{-1}(U)\in \mathscr B(X). \end{equation*}

Or, puisque \(f\) est continue, l'image réciproque d'un ouvert de \(Y\) est un ouvert de \(X\text{;}\) en particulier, c'est un borélien. Donc \(f\) est bien mesurable.

Dans le cas des fonctions de \(\mathbb R\rightarrow\mathbb R\text{,}\) on obtient

Soit \(a\in\mathbb R\text{,}\) on veut montrer que \(f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\in\mathscr B(X)\text{.}\) Soit \(b=\inf f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\text{.}\) Si \(b=-\infty\text{,}\) alors \(f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )=X\text{.}\) Si \(b\in \mathbb R\text{,}\) alors

\begin{equation*} f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )=\rbb b,+\infty\rbb \,\cap X \end{equation*}

En effet, on a alors \(f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\subset\rbb b,+\infty\rbb \,\cap X\) par définition de \(b\text{,}\) et

\(\triangleright\) Si \(b\in X\text{,}\) alors pour tout \(x\in \rbb b,+\infty\rbb \,\cap X\text{,}\) \(f(x)\geq f(b)\geq a\) donc \(x\in f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\text{.}\)

\(\triangleright\) Si \(b\notin X\text{,}\) il existe une suite décroissante \((b_n)_n\) de \(f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\) qui tend vers \(b\text{.}\) Mais alors, pour \(x\in \rbb b,+\infty\rbb \,\cap X\text{,}\) on a \(x>b\text{,}\) donc, pour \(n\) assez grand, \(x\geq b_n>b\text{.}\) Mais alors \(f(x)\geq f(b_n)\geq a\) (puisque \(b_n\in f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\)).

\(\leadsto\) Dans tous les cas, \(f^{-1}(\rbb a,+\infty\rbb )\) est un borélien de \(X\text{.}\)

Quand il n'y a pas d'ambiguïté sur les tribus en jeu, on dit simplement "mesurable".
Au fait, pourquoi est-ce une tribu ?
Exercice !