Section 9.2 Complétude de \(L^p(\mu)\)
Maintenant qu'on a un e.v.n de fonctions mesurables, tout ce qui manque à notre bonheur, c'est la convergence des suites de Cauchy 1 .
Ca tombe bien, elles convergent ! C'est un résultat qui a été obtenu, de façon complètement indépendante, par Frigyes Riesz d'une part et Ernst Sigismund Fischer d'autre part.
Pour ne pas faire de jaloux entre ces deux mathématiciens aux jolis prénoms, on l'appelle...
Théorème 9.2.2. Théorème de Riesz-Fischer.
Pour tout \(p\in \lbb 1,+\infty \lbb\text{,}\) l'espace vectoriel normé \((L^p(\mu),\|.\|_p)\) est complet.
Remarque 9.2.3.
Si on s'était restreint aux fonctions Riemann-intégrables au lieu de \(\L^0\text{,}\) l'ensemble \(L^p\) obtenu n'aurait pas été complet: c'est un des grands avantages 2 de l'intégrale de Lebesgue (et c'est pour ça qu'on donne son nom à ces e.v.n.)
Il va donc s'agir de montrer que si une suite \((f_n)_n\) de "fonctions" de \(L^p(\mu)\) est de Cauchy, alors elle converge vers une "fonction" \(f\in\L^p(\mu)\text{.}\)
Et là, puisqu'on parle de suites de fonctions, il devient important de distinguer deux convergences: la convergence dans \(L^p(\mu)\) et la convergence simple \(\mu\)-p.p.:
Définition 9.2.4.
-
On dit qu'une suite \((f_n)_n\in(L^p(\mu))^\N\) converge vers \(f\in\L^p(\mu)\) dans \(L^p(\mu)\) (ou en norme \(L^p(\mu)\)) si
\begin{equation*} \|f_n-f\|_p\xrightarrow[n\rightarrow\infty]{} 0, \text{ i.e. } \int_X |fn-f|^pd\mu \xrightarrow[n\rightarrow\infty]{} 0 \end{equation*} -
\((f_n)_n\) converge simplement vers \(f\) \(\mu\)-p.p. si
\begin{equation*} \mu(\{x\in X,\ f_n(x)\nrightarrow f(x)\})=0 \end{equation*}
Mais au fait, on a dit que pour une "fonction" \(L^p\text{,}\) la valeur en un point donnée n'est pas bien définie.
\(\leadsto\) Une suite de "fonctions" \((f_n)_n\in (L^p(\mu)^\N\) peut converger simplement quand même , du moment qu'on ajoute "\(\mu\)-presque partout" ?
...
Oui, bien sûr, sinon on n'en parlerait que dans une remarque avec un "⚠" devant. Vérifions-le:
Exercice 9.2.1.
Soit \((f_n)_n\in (\L^p(\mu))^\N\text{,}\) \(f\in\L^p(\mu)\text{.}\)
(a)
Vérifier que \(A=\{x\in X,\ f_n(x)\nrightarrow f(x)\}\in\T\text{.}\)
(b)
Montrer que si, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(\rbb \tilde f_n\lbb =\rbb f_n\lbb \) et \(\rbb \tilde f\lbb =\rbb f\lbb \) alors
(c)
Conclure que la convergence simple \(\mu\)-p.p. a bien un sens sur \(L^p(\mu)\text{.}\)
On a donc deux façons de converger pour une suite de fonctions \(L^p(\mu)\text{.}\) Mais attention, ces deux modes de convergence sont différents !
Exercice Contre-exemples
1. Une suite qui converge \(\mu\)-p.p. mais pas en norme \(L^p(\mu)\text{.}\).
Montrer que la suite de fonctions \((f_n)_n\) définie sur \(\rbb 0,1\lbb \) par
converge simplement vers la fonction nulle \(\mu\)-p.p. sur \(\rbb 0,1\lbb \text{,}\) mais pas dans \(L^p(\rbb 0,1\lbb )\text{.}\)
2. Une suite qui converge dans \(L^p(\mu)\) mais pas \(\mu\)-p.p..
On considère la suite de fonctions donnée par
autrement dit, plus généralement,
Montrer que \((f_n)_n\) converge vers la fonction nulle dans \(L^p(\mu)\text{,}\) quel que soit \(p\geq 1\text{.}\)
Puis montrer que, quel que soit \(x\in\rbb 0,1\lbb \text{,}\) \(f_n(x)\nrightarrow 0\text{.}\)
Conclure.
Il y a quand même un lien entre les deux, que l'on va utiliser pour démontrer le théorème de Riesz-Fisher.
Exercice Preuve du théorème de Riesz-Fischer
Soit \((f_n)_n\in L^p(\mu)^\N\) une suite de Cauchy: pour tout \(\varepsilon >0\text{,}\) il existe donc un rang \(N\in \N\) tel que, pour tous \(q\geq p\geq N\text{,}\)
\(\leadsto\) Le but du jeu est de montrer que \((f_n)_n\) converge dans l'espace vectoriel normé \((L^p(\mu), \|.\|_p)\text{.}\)
Il faut donc qu'on trouve une fonction \(f\in L^p(\mu)\) telle que:
Pour ça, on va construire une sous-suite convergente, en suivant le plan de bataille suivant:
On se rappelle que si une suite de Cauchy admet une valeur d'adhérence, alors elle converge.
-
En utilisant la Cauchitude de la suite \((f_n)_n\text{,}\) on construit une sous-suite \((f_{\psi(n)})_n\) telle que la série
\begin{equation*} \sum_n \|f_{\psi(n+1)}-f_{\psi(n)}\|_p \end{equation*}est convergente.
-
On introduit une nouvelle suite de fonctions:
\begin{equation*} g_n:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^n|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\R \end{equation*}ainsi que
\begin{equation*} g:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^\infty|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\overline{\R} \end{equation*}et on montre, à coup de convergence monotone, que \(g\in L^p(\mu)\text{.}\)
-
On en déduit que pour presque tout \(x\in X\text{,}\) la série de terme général
\begin{equation*} f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x) \end{equation*}converge dans \(\R\text{.}\)
On domine la suite \((f_{\psi(n)})_n\) pour la faire converger dans \(L^p(\mu)\text{.}\)
1.
Montrer que, si on trouve une sous suite \((f_{\psi(n)})_n\) de \((f_n)_n\) et une fonction \(f\in \L^p(\mu)\) telles que
alors on aura gagné.
2.
Soit \((a_n)_n\in (\R^*_+)^\N\) votre suite préférée telle que \(\sum a_n\) converge 5 .
Construire une fonction strictement croissante \(\psi:\N\rightarrow \N\) telle que, pour tout \(n\in\N\text{,}\)
Abandonner rapidement tout espoir de trouver une formule explicite pour \(\psi(n)\) et opter pour une prudente construction par récurrence, à l'aide de la Cauchitude de la suite \((f_n)_n\text{.}\)
Commencer doucement en trouvant \(\psi(0)\text{:}\) pour ça, choisir un \(\varepsilon \gt 0\) qui, si on le donne à \((\star)\text{,}\) nous donne un entier \(N\in\N\) qu'on pourrait choisir comme \(\psi(0)\text{.}\)
3.
On définit une nouvelle suite de fonctions sur \(X\) par
ainsi que
Montrez que pour tout \(n\in\N\text{,}\)\(g_n\in L^p(\mu)\text{.}\)
En déduire que \(g\in L^p(\mu).\)
Pour \(g_n\text{,}\) une couche d'inégalité triangulaire et ça devrait aller.
Pour passer de \(g_n\) à \(g\text{,}\) on aimerait en fait passer à la limite dans une intégrale.
Pour ça, la théorie de la mesure a un tournevis (le théorème de convergence monotone) et un marteau (le théorème de convergence dominée).
\(\leadsto\) la suite \((g_n)_n\) est-elle une vis ou un clou ?
4.
En déduire que \((f_{\psi(n)})_n\) converge \(\mu\)-p.p. vers la fonction \(f\) définie sur \(X\) par
et donc, pour faire ça, vérifiez que \(f\) est bien une fonction \(X\rightarrow \R\text{.}\)
Remarquons que la série dont on se sert pour construire \(f\) pourrait aussi servir à observer les astres.
\(\leadsto\) Converge-t-elle presque partout ? Absolument !
5.
Montrer que \(f\in L^p(\mu)\) et que \((f_{\psi(n)})_n\) converge vers \(f\) dans \(L^p(\mu)\text{.}\)
Un peu comme pour \(g\) tout à l'heure, \(f\) est (presque partout) limite d'une suite de fonctions de \(L^p(\mu)\text{.}\)
\(\leadsto\) il s'agit donc, à nouveau, de passer à la limite dans une intégrale.
Est-ce que \((f_{\psi(n)}-f)_n\) ne serait pas un clou cette fois ?
Constater que la fonction \(|f_{\psi(0)}-f|^p+ g^p\) domine \((|f_{\psi(n)}-f|^p)_n\text{.}\)
6.
Compléter 6 la preuve.Dans la foulée, on obtient un résultat qui relie la convergence \(\mu\)-p.p. et convergence \(L^p\text{:}\)
Proposition 9.2.5.
Soit \((f_n)_n \in L^p(\mu)^\N\) une suite qui converge vers \(f\) dans \(L^p(\mu)\text{.}\) Alors il existe une sous-suite \((f_{\phi(n)})_n\) et une fonction \(g\in L^p(\mu)\) telles que
\((f_{\phi(n)})_n\) converge simplement vers \(f\) \(\mu\)-p.p. sur \(X\text{,}\)
\(\forall n\in\N\text{,}\) \(|f_{\phi(n)}|\leq g\text{.}\)
Exercice 9.2.2. Preuve de la proposition:.
(a)
Construire une sous-suite \((f_{\psi(n)})_n\) telle que la série de terme général \((\|f_n-f\|_p)_n\) converge.
En appliquant la définition de la convergence dans \(L^p(\mu)\) avec un \(\varepsilon\) choisi avec goût, trouver des entiers
tels que, pour tout \(n\in\N\text{,}\)
(b)
En déduire que la série \(\sum_{n\in\N}|f_{\phi(n)}(x)-f(x)|^p\) converge pour \(\mu\)-presque tout \(x\in X\text{.}\)
Remarquer que la suite de fonctions \((S_n=\sum_{k=0}^n|f_{\phi(n)}-f|^p)_n\) est croissante, ce qui en fait une vis.
On peut donc utiliser le tournevis de convergence monotone, et se rappeler que les fonctions intégrables sont finies \(\mu\)-p.p.
(c)
En déduire que \((f_{\phi}(n))_n\) converge simplement vers \(f\) \(\mu\)-p.p. sur \(X\text{.}\)
Que doit vérifier le terme général d'une série convergente ?
Appliquons ce résultat sur un petit exercice:
Exercice 9.2.3.
Soient \(r,s\geq 1\) et \(g\in C^0(\R)\) une fonction continue telle que
On s'en sert pour définir
(a)
Montrer que \(\Phi\) est bien définie et vérifie
(b)
Question piège: Peut-on en déduire directement que \(\Phi\) est continue sur \(L^r(\mu)\) ?
(c)
On va donc montrer quand même que \(\Phi\) est continue, mais plus sournoisement. 7 .
Donc, soit \(f\in L^r(\mu)\text{,}\) on va montrer que \(\Phi\) est continue en \(f\) via la caractérisation séquentielle de la continuité.
Prenons, du coup , et \((f_n)_n\in L^r(\mu)^\N\) une suite qui tend vers \(f\) dans \((L^r(\mu),\|.\|_r)\text{.}\)
Montrer que la suite réelle \((a_n)_n\) définie par \(a_n=\|\Phi(f_n)-\Phi(f)\|_s\) est bornée.
En déduire qu'il existe \(\ell\in\R^+\) et \(\alpha:\N\rightarrow\N\) strictement croissante telle que \(a_\alpha(n)\rightarrow \ell\text{.}\)
(d)
Montrer qu'il existe \(h\in L^r(\mu)\) et \(\phi:\N\rightarrow\N\) encore plus strictement croissante telles que:
\(f_{\phi(n)}\rightarrow f\) \(\mu-p.p.\text{;}\)
\(|f_{\phi(n)}|\leq h\) pour tout \(n\in \N\text{;}\)
\(\ell=\lim_{n\rightarrow \infty}\|\Phi(f_{\phi(n)})_\Phi(f_{\phi(n)})\|\text{.}\)
(e)
Montrer que \(\Phi(f_{\phi(n)})\rightarrow \Phi(f)\) \(\mu\)-p.p. et que
(f)
En déduire que \((\Phi(f_{\phi(n)}))_n\) converge vers \(\Phi(f)\) dans \(L^s(\mu)\text{,}\) et de là, en déduire la valeur de \(\ell\text{.}\)
(g)
Montrer que \(a_n\rightarrow 0\) et conclure continûment.
www.math3ma.com/blog/on-constructing-functions-part-6