Skip to main content

Section 9.2 Complétude de \(L^p(\mu)\)

Maintenant qu'on a un e.v.n de fonctions mesurables, tout ce qui manque à notre bonheur, c'est la convergence des suites de Cauchy 1 .

Ca tombe bien, elles convergent ! C'est un résultat qui a été obtenu, de façon complètement indépendante, par Frigyes Riesz d'une part et Ernst Sigismund Fischer d'autre part.

Figure 9.2.1. Messieurs Riesz (à gauche) et Fischer (à droite) (Source: Wikipedia)

Pour ne pas faire de jaloux entre ces deux mathématiciens aux jolis prénoms, on l'appelle...

Remarque 9.2.3.

Si on s'était restreint aux fonctions Riemann-intégrables au lieu de \(\L^0\text{,}\) l'ensemble \(L^p\) obtenu n'aurait pas été complet: c'est un des grands avantages 2  de l'intégrale de Lebesgue (et c'est pour ça qu'on donne son nom à ces e.v.n.)

Il va donc s'agir de montrer que si une suite \((f_n)_n\) de "fonctions" de \(L^p(\mu)\) est de Cauchy, alors elle converge vers une "fonction" \(f\in\L^p(\mu)\text{.}\)

Et là, puisqu'on parle de suites de fonctions, il devient important de distinguer deux convergences: la convergence dans \(L^p(\mu)\) et la convergence simple \(\mu\)-p.p.:

Définition 9.2.4.

  • On dit qu'une suite \((f_n)_n\in(L^p(\mu))^\N\) converge vers \(f\in\L^p(\mu)\) dans \(L^p(\mu)\) (ou en norme \(L^p(\mu)\)) si

    \begin{equation*} \|f_n-f\|_p\xrightarrow[n\rightarrow\infty]{} 0, \text{ i.e. } \int_X |fn-f|^pd\mu \xrightarrow[n\rightarrow\infty]{} 0 \end{equation*}
  • \((f_n)_n\) converge simplement vers \(f\) \(\mu\)-p.p. si

    \begin{equation*} \mu(\{x\in X,\ f_n(x)\nrightarrow f(x)\})=0 \end{equation*}

Mais au fait, on a dit que pour une "fonction" \(L^p\text{,}\) la valeur en un point donnée n'est pas bien définie.

\(\leadsto\) Une suite de "fonctions" \((f_n)_n\in (L^p(\mu)^\N\) peut converger simplement quand même , du moment qu'on ajoute "\(\mu\)-presque partout" ?

...

Oui, bien sûr, sinon on n'en parlerait que dans une remarque avec un "⚠" devant. Vérifions-le:

Exercice 9.2.1.

Soit \((f_n)_n\in (\L^p(\mu))^\N\text{,}\) \(f\in\L^p(\mu)\text{.}\)

(a)

Vérifier que \(A=\{x\in X,\ f_n(x)\nrightarrow f(x)\}\in\T\text{.}\)

Indice.
\begin{equation*} x\in A \iff\exists m\in \N^*,\,\forall N\in \N,\exists n\geq N, |f_n(x)-f(x)|>\frac 1m \end{equation*}

(b)

Montrer que si, pour tout \(n\in\N\text{,}\) \(\rbb \tilde f_n\lbb =\rbb f_n\lbb \) et \(\rbb \tilde f\lbb =\rbb f\lbb \) alors

\begin{equation*} f_n\rightarrow f \ \mu-p.p. \iff \tilde f_n\rightarrow \tilde f \end{equation*}

(c)

Conclure que la convergence simple \(\mu\)-p.p. a bien un sens sur \(L^p(\mu)\text{.}\)

On a donc deux façons de converger pour une suite de fonctions \(L^p(\mu)\text{.}\) Mais attention, ces deux modes de convergence sont différents !

Exercice Contre-exemples

1. Une suite qui converge \(\mu\)-p.p. mais pas en norme \(L^p(\mu)\text{.}\).

Montrer que la suite de fonctions \((f_n)_n\) définie sur \(\rbb 0,1\lbb \) par

\begin{equation*} f_n=n^\frac1p1_\rbb 0,\frac1n\lbb \end{equation*}

converge simplement vers la fonction nulle \(\mu\)-p.p. sur \(\rbb 0,1\lbb \text{,}\) mais pas dans \(L^p(\rbb 0,1\lbb )\text{.}\)

2. Une suite qui converge dans \(L^p(\mu)\) mais pas \(\mu\)-p.p..

On considère la suite de fonctions donnée par

\begin{gather*} f_1=1_{\rbb 0,1\lbb },\\ f_2=1_{\rbb 0,\frac12\lbb }, f_3=1_{\rbb \frac12,1\lbb },\\ f_4=1_{\rbb 0,\frac14\lbb }, f_5=1_{\rbb \frac14,\frac12\lbb },f_6=1_{\rbb \frac12,\frac34\lbb },f_7=1_{\rbb \frac34,1\lbb }, \end{gather*}

autrement dit, plus généralement,

\begin{equation*} \forall n\in\N^*, f_n(x)= \begin{cases} 1 \text{ si } \frac{j}{2^k}\leq x \leq \frac{j+1}{2^k}\\ 0 \text{ sinon.} \end{cases} \text{ où } k:=\lceil \log_2(n) \rceil, j=n-2^k \end{equation*}

 3 

Montrer que \((f_n)_n\) converge vers la fonction nulle dans \(L^p(\mu)\text{,}\) quel que soit \(p\geq 1\text{.}\)

Puis montrer que, quel que soit \(x\in\rbb 0,1\lbb \text{,}\) \(f_n(x)\nrightarrow 0\text{.}\)

Conclure.

Il y a quand même un lien entre les deux, que l'on va utiliser pour démontrer le théorème de Riesz-Fisher.

Exercice Preuve du théorème de Riesz-Fischer

Soit \((f_n)_n\in L^p(\mu)^\N\) une suite de Cauchy: pour tout \(\varepsilon >0\text{,}\) il existe donc un rang \(N\in \N\) tel que, pour tous \(q\geq p\geq N\text{,}\)

\begin{equation*} \|f_q-f_p\|_p\lt \varepsilon \end{equation*}

\(\leadsto\) Le but du jeu est de montrer que \((f_n)_n\) converge dans l'espace vectoriel normé \((L^p(\mu), \|.\|_p)\text{.}\)

Il faut donc qu'on trouve une fonction \(f\in L^p(\mu)\) telle que:

\begin{equation*} \|f_n-f\|_p`\xrightarrow[n\rightarrow \infty]{} 0 \end{equation*}

Pour ça, on va construire une sous-suite convergente, en suivant le plan de bataille suivant:

  1. On se rappelle que si une suite de Cauchy admet une valeur d'adhérence, alors elle converge.

  2. En utilisant la Cauchitude de la suite \((f_n)_n\text{,}\) on construit une sous-suite \((f_{\psi(n)})_n\) telle que la série

    \begin{equation*} \sum_n \|f_{\psi(n+1)}-f_{\psi(n)}\|_p \end{equation*}

    est convergente.

  3. On introduit une nouvelle suite de fonctions:

    \begin{equation*} g_n:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^n|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\R \end{equation*}

    ainsi que

    \begin{equation*} g:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^\infty|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\overline{\R} \end{equation*}

    et on montre, à coup de convergence monotone, que \(g\in L^p(\mu)\text{.}\)

  4. On en déduit que pour presque tout \(x\in X\text{,}\) la série de terme général

    \begin{equation*} f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x) \end{equation*}

    converge dans \(\R\text{.}\)

  5. On domine la suite \((f_{\psi(n)})_n\) pour la faire converger dans \(L^p(\mu)\text{.}\)

1.

Montrer que, si on trouve une sous suite \((f_{\psi(n)})_n\) de \((f_n)_n\) et une fonction \(f\in \L^p(\mu)\) telles que

\begin{equation*} \|f_n-f\|_p \rightarrow 0 \end{equation*}

alors on aura gagné.

2.

Soit \((a_n)_n\in (\R^*_+)^\N\) votre suite préférée telle que \(\sum a_n\) converge  5 .

Construire une fonction strictement croissante \(\psi:\N\rightarrow \N\) telle que, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \|f_{\psi(n+1)}-f_{\psi(n)}\|_p\lt a_n \end{equation*}
Indice 1.

Abandonner rapidement tout espoir de trouver une formule explicite pour \(\psi(n)\) et opter pour une prudente construction par récurrence, à l'aide de la Cauchitude de la suite \((f_n)_n\text{.}\)

Indice 2.

Commencer doucement en trouvant \(\psi(0)\text{:}\) pour ça, choisir un \(\varepsilon \gt 0\) qui, si on le donne à \((\star)\text{,}\) nous donne un entier \(N\in\N\) qu'on pourrait choisir comme \(\psi(0)\text{.}\)

3.

On définit une nouvelle suite de fonctions sur \(X\) par

\begin{equation*} g_n:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^n|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\R \end{equation*}

ainsi que

\begin{equation*} g:x\in X \mapsto \sum_{k=0}^\infty|f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x)|\in\overline{\R} \end{equation*}

Montrez que pour tout \(n\in\N\text{,}\)\(g_n\in L^p(\mu)\text{.}\)

En déduire que \(g\in L^p(\mu).\)

Indice.

Pour \(g_n\text{,}\) une couche d'inégalité triangulaire et ça devrait aller.

Pour passer de \(g_n\) à \(g\text{,}\) on aimerait en fait passer à la limite dans une intégrale.

Pour ça, la théorie de la mesure a un tournevis (le théorème de convergence monotone) et un marteau (le théorème de convergence dominée).

\(\leadsto\) la suite \((g_n)_n\) est-elle une vis ou un clou ?

4.

En déduire que \((f_{\psi(n)})_n\) converge \(\mu\)-p.p. vers la fonction \(f\) définie sur \(X\) par

\begin{equation*} f(x)=\begin{cases} 0 \text{ si la série de t.g. } (f_{\psi(n+1)}(x)-f_{\psi(n)}(x))_n \text{ ne converge pas}\\ f_{\psi(0)}(x)+\sum_{k=0}^\infty (f_{\psi(k+1)}(x)-f_{\psi(k)}(x))\text{ sinon.} \end{cases} \end{equation*}

et donc, pour faire ça, vérifiez que \(f\) est bien une fonction \(X\rightarrow \R\text{.}\)

Indice.

Remarquons que la série dont on se sert pour construire \(f\) pourrait aussi servir à observer les astres.

\(\leadsto\) Converge-t-elle presque partout ? Absolument !

5.

Montrer que \(f\in L^p(\mu)\) et que \((f_{\psi(n)})_n\) converge vers \(f\) dans \(L^p(\mu)\text{.}\)

Indice 1.

Un peu comme pour \(g\) tout à l'heure, \(f\) est (presque partout) limite d'une suite de fonctions de \(L^p(\mu)\text{.}\)

\(\leadsto\) il s'agit donc, à nouveau, de passer à la limite dans une intégrale.

Est-ce que \((f_{\psi(n)}-f)_n\) ne serait pas un clou cette fois ?

Indice 2.

Constater que la fonction \(|f_{\psi(0)}-f|^p+ g^p\) domine \((|f_{\psi(n)}-f|^p)_n\text{.}\)

Dans la foulée, on obtient un résultat qui relie la convergence \(\mu\)-p.p. et convergence \(L^p\text{:}\)

Exercice 9.2.2. Preuve de la proposition:.

(a)

Construire une sous-suite \((f_{\psi(n)})_n\) telle que la série de terme général \((\|f_n-f\|_p)_n\) converge.

Indice.

En appliquant la définition de la convergence dans \(L^p(\mu)\) avec un \(\varepsilon\) choisi avec goût, trouver des entiers

\begin{equation*} \phi(0)\lt \phi(1)\lt \phi(2)\lt... \end{equation*}

tels que, pour tout \(n\in\N\text{,}\)

\begin{equation*} \|f_{\phi(n)}-f\|^p_p=\int_X |f_{\phi(n)}-f|^p d\mu \lt \frac1{2^n} \end{equation*}

(b)

En déduire que la série \(\sum_{n\in\N}|f_{\phi(n)}(x)-f(x)|^p\) converge pour \(\mu\)-presque tout \(x\in X\text{.}\)

Indice.

Remarquer que la suite de fonctions \((S_n=\sum_{k=0}^n|f_{\phi(n)}-f|^p)_n\) est croissante, ce qui en fait une vis.

On peut donc utiliser le tournevis de convergence monotone, et se rappeler que les fonctions intégrables sont finies \(\mu\)-p.p.

(c)

En déduire que \((f_{\phi}(n))_n\) converge simplement vers \(f\) \(\mu\)-p.p. sur \(X\text{.}\)

Indice.

Que doit vérifier le terme général d'une série convergente ?

Appliquons ce résultat sur un petit exercice:

Exercice 9.2.3.

Soient \(r,s\geq 1\) et \(g\in C^0(\R)\) une fonction continue telle que

\begin{equation*} \exists c\geq 0, \forall y\in \R, |g(y)|\leq c|y|^{\frac{r}{s}} \end{equation*}

On s'en sert pour définir

\begin{equation*} \Phi: f\in L^r(\mu) \mapsto g\circ f\in L^s(\mu) \end{equation*}

(a)

Montrer que \(\Phi\) est bien définie et vérifie

\begin{equation*} \forall f\in L^r(\mu), \|\Phi(f)\|_s \leq c \|f\|_p \end{equation*}

(b)

Question piège: Peut-on en déduire directement que \(\Phi\) est continue sur \(L^r(\mu)\) ?

(c)

On va donc montrer quand même que \(\Phi\) est continue, mais plus sournoisement.  7 .

Donc, soit \(f\in L^r(\mu)\text{,}\) on va montrer que \(\Phi\) est continue en \(f\) via la caractérisation séquentielle de la continuité.

Prenons, du coup , et \((f_n)_n\in L^r(\mu)^\N\) une suite qui tend vers \(f\) dans \((L^r(\mu),\|.\|_r)\text{.}\)

Montrer que la suite réelle \((a_n)_n\) définie par \(a_n=\|\Phi(f_n)-\Phi(f)\|_s\) est bornée.

En déduire qu'il existe \(\ell\in\R^+\) et \(\alpha:\N\rightarrow\N\) strictement croissante telle que \(a_\alpha(n)\rightarrow \ell\text{.}\)

(d)

Montrer qu'il existe \(h\in L^r(\mu)\) et \(\phi:\N\rightarrow\N\) encore plus strictement croissante telles que:

  • \(f_{\phi(n)}\rightarrow f\) \(\mu-p.p.\text{;}\)

  • \(|f_{\phi(n)}|\leq h\) pour tout \(n\in \N\text{;}\)

  • \(\ell=\lim_{n\rightarrow \infty}\|\Phi(f_{\phi(n)})_\Phi(f_{\phi(n)})\|\text{.}\)

(e)

Montrer que \(\Phi(f_{\phi(n)})\rightarrow \Phi(f)\) \(\mu\)-p.p. et que

\begin{equation*} |\Phi(f_{\phi(n)}(x)-\Phi(f)(x)|^s\leq c2^s|h|^r \end{equation*}

(f)

En déduire que \((\Phi(f_{\phi(n)}))_n\) converge vers \(\Phi(f)\) dans \(L^s(\mu)\text{,}\) et de là, en déduire la valeur de \(\ell\text{.}\)

(g)

Montrer que \(a_n\rightarrow 0\) et conclure continûment.

Si,si, vraiment. C'est nécessaire à votre bien-être.
Si, si, je vous jure, on ne peut pas être complètement heureux si les suites de Cauchy ne convergent pas.
Tester cette formule pour de petites valeurs de \(n\text{,}\) pour voir si ça redonne la suite au-dessus !
www.math3ma.com/blog/on-constructing-functions-part-6
Moi, c'est \(a_n=\frac1{2^n}\)
!